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Œuvres littéraires de Napoléon Bonaparte/Lettres à Joséphine

La bibliothèque libre.
Texte établi par Tancrède MartelAlbert Savine (Tome 1p. 262-373).

II

LETTRES À JOSÉPHINE[1].

I

Paris, 28 octobre 1795.

Je ne conçois pas ce qui a pu donner lieu à votre lettre. Je vous prie de me faire le plaisir de croire que personne ne désire autant votre amitié que moi et n’est plus prêt que moi à faire quelque chose qui puisse le prouver. Si mes occupations me l’avaient permis, je serais venu moi-même porter ma lettre.

Buonaparte[2]
.

II

Paris, décembre 1795.

Je me réveille plein de toi. Ton portrait et l’enivrante soirée d’hier n’ont point laissé de repos à mes sens. Douce et incomparable Joséphine, quel effet bizarre faites-vous sur mon cœur ; vous fâchez-vous ; vous vois-je triste, êtes-vous inquiète ; … mon âme est brisée de douleur et il n’est point de repos pour votre ami, mais en est-il donc davantage pour moi, lorsque me livrant au sentiment profond qui me maîtrise, je puise sur vos lèvres, sur votre cœur, une flamme qui me brûle ? Ah ! c’est cette nuit que je me suis bien aperçu que votre portrait n’est pas vous. Tu pars à midi, je te verrai dans trois heures. En attendant, mio dolce amor, un millier de baisers, mais ne m’en donne pas, car ils brûlent mon sang.


III

Chanceaux, 14 mars 1796.

Je t’ai écrit de Châtillon, et je t’ai envoyé une procuration pour que tu touches différentes sommes qui me reviennent. Chaque instant m’éloigne de toi, adorable amie, et, à chaque instant, je trouve moins de force pour supporter d’être éloigné de toi. Tu es l’objet perpétuel de ma pensée ; mon imagination s’épuise à chercher ce que tu fais. Si je te vois triste, mon cœur se déchire, et ma douleur s’accroît. Si tu es gaie, folâtre avec tes amis, je te reproche d’avoir bientôt oublié la douloureuse séparation de trois jours ; tu es alors légère, et, dès lors, tu n’es affectée par aucun sentiment profond. Comme tu vois, je ne suis pas facile à contenter ; mais, ma bonne amie, c’est bien autre chose, si je crains que ta santé ne soit altérée, ou que tu aies des raisons d’être chagrine ; alors, je regrette la vitesse avec laquelle on m’éloigne de mon cœur. Je sens vraiment que ta bonté naturelle n’existe plus pour moi, et que ce n’est que tout assuré qu’il ne t’arrive rien de fâcheux que je puis être content. Si l’on me fait la question si j’ai bien dormi, je sens qu’avant de répondre, j’aurais besoin de recevoir un courrier qui m’annonçât que tu as bien reposé. Les maladies, les fureurs des hommes ne m’affectent que par l’idée qu’elles peuvent te frapper, ma bonne amie. Que mon génie, qui m’a toujours garanti au milieu des grands dangers, t’environne, te couvre, et je me livre au découvert. Ah ! ne sois pas gaie, mais un peu mélancolique, et surtout que ton âme soit exempte de chagrin, comme ton corps de maladie ; tu sais ce que dit là-dessus notre bon Ossian. Écris-moi, ma tendre amie, et bien longuement, et reçois les mille et un baisers de l’ami le plus tendre et le plus vrai.


IV

Port-Maurice, le 14 germinal (3 avril 1796).

J’ai reçu toutes tes lettres, mais aucune n’a fait sur moi l’impression de ta dernière. Y penses-tu, mon adorable amie, de m’écrire en ces termes ? Crois-tu donc que ma position n’est pas déjà assez cruelle, sans encore accroître mes regrets, et bouleverser mon âme ? Quel style ! quels sentiments que ceux que tu peins ! Ils sont de feu, ils brûlent mon pauvre cœur. Mon unique Joséphine, loin de toi il n’est pas de gaieté ; loin de toi, le monde est un désert où je reste isolé, et sans éprouver la douceur de m’épancher. Tu m’as ôté plus que mon âme ; tu es l’unique pensée de ma vie. Si je suis ennuyé du tracas des affaires, si j’en crains l’issue, si les hommes me dégoûtent, si je suis prêt à maudire la vie, je mets la main sur mon cœur ; ton portrait y bat, je le regarde, et l’amour est pour moi le bonheur absolu, et tout est riant hors le temps que je me vois absent de mon amie.

Par quel art as-tu su captiver toutes mes facultés, concentrer en toi mon existence morale ? Vivre pour Joséphine ! voilà l’histoire de ma vie. J’agis pour arriver près de toi ; je me meurs pour t’approcher. Insensé ! je ne m’aperçois pas que je m’en éloigne. Que de pays, que de contrées nous séparent ! que de temps avant que tu lises ces caractères, faibles expressions d’une âme émue où tu règnes ! Ah ! mon adorable femme ! je ne sais quel sort m’attend ; mais s’il m’éloigne plus longtemps de toi il me sera insupportable : mon courage ne va pas jusque-là. Il fut un temps où je m’enorgueillissais de mon courage, et quelquefois, en jetant les yeux sur le mal que pourraient me faire les hommes, sur le sort que pourrait me réserver le destin, je fixais les malheurs les plus inouïs sans froncer le sourcil, sans me sentir étonné. Mais aujourd’hui, l’idée que ma Joséphine peut être mal, l’idée qu’elle pourrait être malade, et surtout la cruelle, la funeste pensée qu’elle pourrait m’aimer moins, flétrit mon âme, arrête mon sang, me rend triste, abattu, ne me laisse pas même le courage de la fureur et du désespoir. Je me disais souvent jadis : les hommes ne peuvent rien à celui qui meurt sans regret ; mais aujourd’hui, mourir sans être aimé de toi, mourir sans cette certitude, c’est le tourment de l’enfer, c’est l’image vive et frappante de l’anéantissement absolu. Il me semble que je me sens étouffer. Mon unique compagne, toi que le sort a destinée pour faire avec moi le voyage pénible de la vie, le jour où je n’aurai plus ton cœur sera celui où la nature sera pour moi sans chaleur et sans végétation… Je m’arrête, ma douce amie ; mon âme est triste, mon corps est fatigué, mon esprit est alourdi, les hommes m’ennuient. Je devrais bien les détester, ils m’éloignent de mon cœur.

Je suis à Port-Maurice, près Oneille ; demain je suis à Albenga. Les deux armées se remuent ; nous cherchons à nous tromper. Au plus habile la victoire. Je suis assez content de Beaulieu ; il manœuvre bien ; il est plus fort que son prédécesseur. Je le battrai, j’espère, de la belle manière. Sois sans inquiétude ; aime-moi comme tes yeux ; mais ce n’est pas assez, comme toi ; plus que toi, que ta pensée, ton esprit, ta vie, ton tout. Donc, amie, pardonne-moi, je délire ; la nature est faible pour qui sent vivement, pour celui que tu aimes. À Barras, Sucy, madame Tallien, amitié sincère ; à madame Château-Renard, civilités d’usage ; à Eugène, à Hortense, amour vrai.


V

Albenga, le 18 germinal (7 avril 1796).

Je reçois une lettre que tu interromps pour aller, dis-tu, à la campagne ; et, après cela, tu te donnes le ton d’être jalouse de moi, qui suis ici accablé d’affaires et de fatigues. Ah ! ma bonne amie !… Il est vrai que j’ai tort. Dans les premiers temps, la campagne est belle ; et puis, l’amant de dix-neuf ans s’y trouvait sans doute. Le moyen de perdre un instant de plus à écrire à celui qui, éloigné de trois cents lieues de toi, ne vit, ne jouit, n’existe que pour ton souvenir, qui lit tes lettres comme on dévore, après six heures de chasse, les mets que l’on aime. Je ne suis pas content. Ta dernière lettre est froide comme l’amitié. Je n’y ai pas trouvé ce feu qui allume tes regards, ce que j’ai cru quelquefois y voir. Mais quelle est ma bizarrerie ! J’ai trouvé que tes lettres précédentes oppressaient trop mon âme ; la révolution qu’elles y produisaient attaquait mon repos, et asservissait mes sens. Je désirais des lettres plus froides, mais elles me donnent le glacé de la mort. La crainte de ne pas être aimé de Joséphine, l’idée de la voir inconstante, de la… Mais je me forge des peines. Il en est tant de réelles ! Faut-il encore s’en fabriquer ? Tu ne peux m’avoir inspiré un amour sans bornes sans le partager, et avec ton âme, ta pensée et ta raison, l’on ne peut pas, en retour de l’abandon, du dévouement, donner en échange le coup de mort… Un souvenir de mon unique femme et une victoire du destin, voilà mes souhaits : un souvenir unique, entier, digne de celui qui pense à toi à tous les instants.


VI

Cherasco, 3 floréal (24 avril 1796).

Mon frère[3] te remettra cette lettre ; j’ai pour lui la plus vive amitié. Il obtiendra, j’espère, la tienne ; il la mérite. La nature l’a doué d’un caractère doux et inaltérablement bon ; il est tout plein de bonnes qualités. J’écris à Barras pour qu’on le nomme consul dans quelque port d’Italie. Il désire vivre éloigné avec sa petite femme du grand tourbillon et des grandes affaires ; je te le recommande. J’ai reçu tes lettres du 16 et du 21. Tu as été bien des jours sans m’écrire. Que fais-tu donc ? Oui, ma bonne amie, je suis non pas jaloux, mais quelquefois inquiet. Viens vite ; je te préviens, si tu tardes, tu me trouveras malade. Les fatigues et ton absence, c’est trop à la fois. Tes lettres font le plaisir de mes journées, et mes journées heureuses ne sont pas fréquentes. Junot[4] porte à Paris vingt-deux drapeaux.

Tu dois revenir avec lui, entends-tu ?… Malheur sans remède, douleur sans consolation, peines continues si j’avais le malheur de le voir revenir seul, mon adorable amie. Il te verra, il respirera dans ton temple ; peut-être même lui accorderas-tu la faveur unique et inappréciable de baiser ta joue, et moi je serai seul et bien, bien loin. Mais tu vas revenir, n’est-ce pas ? Tu vas être ici à côté de moi, sur mon cœur, dans mes bras ? Prends des ailes, viens, viens ! Mais voyage doucement. La route est longue, mauvaise, fatigante. Si tu allais verser ou prendre mal ; si la fatigue… Viens vivement, mon adorable amie, mais lentement.


VII

Cherasco, 29 avril 1796.

Je ne sais pourquoi depuis ce matin, je suis plus content. J’ai un pressentiment que tu es partie pour ici. Cette idée me comble de joie.

Ne vas pas surtout être malade. Non, ma bonne amie, tu viendras ici ; tu te porteras très bien ; tu feras un petit enfant, joli comme sa mère, qui t’aimera comme son père, et quand tu seras bien vieille, bien vieille, que tu auras cent ans, il fera ta consolation et ton bonheur.


VIII

Tortone, midi, le 27 prairial an IV de la République.
(15 juin 1796.)

Ma vie est un cauchemar perpétuel. Un pressentiment funeste m’empêche de respirer. Je ne vis plus, j’ai perdu plus que la vie, plus que le bonheur, plus que le repos ; je suis presque sans espoir. Je t’expédie un courrier. Il ne restera que quatre heures à Paris et puis m’apportera ta réponse. Écris-moi dix pages ; cela seul peut me consoler un peu. Tu es malade, tu m’aimes, je t’ai affligée, tu es grosse et je ne te vois pas. Cette idée me confond. J’ai tant de torts envers toi, que je ne sais comment les expier. Je t’accuse de rester à Paris, et tu y étais malade. Pardonne-moi, ma bonne amie ; l’amour que tu m’as inspiré m’a ôté la raison ; je ne la retrouverai jamais. L’on ne guérit pas de ce mal-là. Mes pressentiments sont si funestes que je me bornerais à te voir, à te presser deux heures sur mon cœur et mourir ensemble. Qui est-ce qui a soin de toi ? J’imagine que tu as fait appeler Hortense ; j’aime mille fois plus cette aimable enfant depuis que je pense qu’elle peut te consoler un peu. Quant à moi, point de consolation, point de repos, point d’espoir, jusqu’à ce que j’aie reçu le courrier que je t’expédie, et que par une longue lettre tu m’expliques ce que c’est que ta maladie, et jusqu’à quel point elle doit être sérieuse. Si elle est dangereuse, je t’en préviens, je pars de suite pour Paris… J’ai été toujours heureux ; jamais mon sort n’a résisté à ma volonté, et aujourd’hui je suis frappé dans ce qui me touche uniquement… Sans appétit, sans sommeil, sans intérêt pour l’amitié, pour la gloire, pour la patrie, toi, toi, et le reste du monde n’existe pas plus pour moi que s’il était anéanti. Je tiens à l’honneur puisque tu y tiens, à la victoire puisque cela te fait plaisir, sans quoi j’aurais tout quitté pour me rendre à tes pieds.

Ma bonne amie, aie soin de me dire que tu es convaincue que je t’aime au delà de tout ce qu’il est possible d’imaginer ; que tu es persuadée que tous mes instants te sont consacrés, que jamais il ne se passe une heure sans penser à toi ; que jamais il ne m’est venu dans l’idée de penser à une autre femme ; qu’elles sont toutes à mes yeux sans grâce, sans beauté et sans esprit ; que toi, toi tout entière, telle que je te vois, que tu es, pouvais me plaire et absorber toutes les facultés de mon âme ; que tu en as touché toute l’étendue, que mon cœur n’a point de replis que tu ne voies, point de pensées qui ne te soient subordonnées ; que mes forces, mes bras, mon esprit sont tout à toi ; que mon âme est dans ton corps, et que le jour où tu aurais changé, ou le jour où tu cesseras de vivre, serait celui de ma mort ; que la nature, la terre n’est belle que parce que tu l’habites. Si tu ne crois pas cela, si ton âme n’en est pas convaincue, pénétrée, tu m’affliges, tu ne m’aimes pas. Il est un fluide magnétique entre les personnes qui s’aiment. Tu sais que je ne pourrais te voir un amant, encore moins t’en souffrir un : lui déchirer le cœur et le voir serait pour moi la même chose, et puis si je pouvais porter la main sur ta personne sacrée… Non, je ne l’oserais jamais, mais je sortirais d’une vie où ce qui existe de plus vertueux m’aurait trompé. Je suis sûr et fier de ton amour. Les malheurs sont des épreuves qui nous décèlent mutuellement la force de notre passion. Un enfant adorable comme sa maman va voir le jour dans tes bras[5]. Infortuné, je me contenterais d’une journée. Mille baisers sur tes yeux, sur tes lèvres… Adorable femme, quel est ton ascendant ! Je suis bien malade de ta maladie. J’ai encore une fièvre brûlante ! Ne garde pas plus de six heures le courrier, et qu’il retourne de suite me porter la lettre chérie de ma souveraine.


IX

Roverbella, 6 juillet 1796[6].

J’ai battu l’ennemi. Kilmaine[7] t’enverra la copie de la relation. Je suis mort de fatigue. Je te prie de partir tout de suite pour te rendre à Vérone ; j’ai besoin de toi, car je crois que je vais être bien malade. Je te donne mille baisers. Je suis au lit.


X

Vérone, 11 juillet 1796.

À peine parti de Roverbella, j’ai su que l’ennemi se présentait à Vérone. Masséna[8] faisait des dispositions qui ont été très heureuses. Nous avons fait six cents prisonniers, et nous avons pris trois pièces de canon. Le général Brune[9] a eu sept balles dans ses habits, sans avoir été touché par aucune ; c’est jouer de bonheur. Je te donne mille baisers. Je me porte très bien. Nous n’avons eu que dix hommes tués et cent blessés.


XI

Marmirolo, 17 juillet 1796, neuf heures du soir.

Je reçois ta lettre, mon adorable amie ; elle a rempli mon cœur de joie. Je te suis obligé de la peine que tu as prise de me donner de tes nouvelles, ta santé doit être meilleure aujourd’hui ; je suis sûr que tu es guérie. Je t’engage fort à monter à cheval, cela ne peut manquer de te faire du bien. Depuis que je t’ai quittée j’ai toujours été triste. Mon bonheur est d’être près de toi. Sans cesse je repasse dans ma mémoire tes baisers, tes larmes, ton aimable jalousie, et les charmes de l’incomparable Joséphine allument sans cesse une flamme vive et brûlante dans mon cœur et dans mes sens. Quand, libre de toute inquiétude, de toute affaire, pourrais-je passer tous mes instants près de toi, n’avoir qu’à t’aimer, et ne penser qu’au bonheur de te le dire et de te le prouver ? Je t’enverrai ton cheval, mais j’espère que tu pourras bientôt me rejoindre.

Je croyais t’aimer, il y a quelques jours ; mais, depuis que t’ai vue, je sens que je t’aime mille fois plus encore. Depuis que je te connais, je t’adore tous les jours davantage : cela prouve combien la maxime de La Bruyère, que l’amour vient tout d’un coup, est fausse. Tout, dans la nature, a un cours et différents degrés d’accroissement. Ah ! je t’en prie, laisse-moi voir quelques-uns de tes défauts ! Sois moins belle, moins gracieuse, moins tendre, moins bonne surtout ; ne sois jamais jalouse, ne pleure jamais ; tes larmes m’ôtent la raison, brûlent mon sang. Crois bien qu’il n’est plus en mon pouvoir d’avoir une pensée qui ne soit pas à toi et une idée qui ne te soit pas soumise. Repose-toi bien : rétablis vite ta santé. Viens me rejoindre, et au moins, qu’avant de mourir, nous puissions dire : « Nous fûmes tant de jours heureux[10] ! »

Million de baisers, et même à Fortuné[11], en dépit de sa méchanceté.


XII

Marmirolo, le 18 juillet 1796.

J’ai passé toute la nuit sous les armes. J’aurais eu Mantoue par un coup hardi et heureux ; mais les eaux du lac ont promptement baissé, de sorte que ma colonne, qui était embarquée, n’a pas pu arriver. Ce soir, je recommence d’une autre manière… Je reçois une lettre d’Eugène[12] que je t’envoie. Je te prie d’écrire de ma part à ces aimables enfants et de leur envoyer quelques bijoux. Assure-les bien que je les aime comme mes enfants. Ce qui est à toi ou à moi se confond tellement dans mon cœur, qu’il n’y a aucune différence. Je suis fort inquiet de savoir comment tu te portes, ce que tu fais. J’ai été dans le village de Virgile, sur les bords du lac, au clair argentin de la lune, et pas un instant sans songer à Joséphine[13].


XIII

Marmirolo, 19 juillet 1796.

Il y a deux jours que je suis sans lettre de toi. Voilà trente fois aujourd’hui que je me suis fait cette observation ; tu sens que cela est bien triste ; tu ne peux pas douter cependant de la tendre et unique sollicitude que tu m’inspires. Nous avons attaqué hier Mantoue. Nous l’avons chauffée avec deux batteries à boulets rouges et des mortiers. Toute la nuit, cette misérable ville a brûlé. Ce spectacle était horrible et imposant. Nous nous sommes emparés de plusieurs ouvrages extérieurs, nous ouvrons la tranchée cette nuit. Je vais partir pour Castiglione demain avec le quartier général, et je compte y coucher. J’ai reçu un courrier de Paris. Il y avait deux lettres pour toi ; je les ai lues. Cependant, bien que cette action me paraisse toute simple et que tu m’en aies donné la permission l’autre jour, je crains que cela ne te fâche, et cela m’afflige bien. J’aurais voulu les recacheter. Fi ! ce serait une horreur. Si je suis coupable, je te demande grâce ; je te jure que ce n’est pas par jalousie ; non, certes, j’ai de mon adorable amie une trop grande opinion pour cela. Je voudrais que tu me donnasses permission entière de lire tes lettres ; avec cela il n’y aurait plus de remords ni de crainte. Achille arrive en courrier de Milan ; pas de lettres de mon adorable amie ! Adieu, mon unique bien ! Quand pourras-tu venir me rejoindre ? Je viendrai te prendre moi-même à Milan. Mille baisers aussi brûlants que mon cœur, aussi purs que toi. Je fais appeler le courrier ; il me dit qu’il est passé chez toi, et que tu lui as dit que tu n’avais rien à lui ordonner. Fi ! méchante, laide, cruelle, tyranne, petit joli monstre ! Tu te ris de mes menaces, de mes sottises ; ah ! si je pouvais, tu sais bien, t’enfermer dans mon cœur je t’y mettrais en prison. Apprends-moi que tu es gaie, bien portante et bien tendre.


XIV

Castiglione, 21 juillet 1796.

J’espère qu’en arrivant ce soir, je recevrai une de tes lettres. Tu sais, ma chère Joséphine, le plaisir qu’elles me font, et je suis sûr que tu te plais à les écrire. Je partirai cette nuit pour Peschiera, pour Vérone, et de là j’irai à Mantoue, et peut-être à Milan, recevoir un baiser, puisque tu m’assures qu’ils ne sont pas glacés ; j’espère que tu seras parfaitement rétablie alors, et que tu pourras m’accompagner à mon quartier général pour ne plus me quitter. N’es-tu pas l’âme de ma vie et le sentiment de mon cœur ?… Adieu, belle et bonne, toute non pareille, toute divine ; mille baisers amoureux !


XV

Castiglione, 22 juillet 1796.

Les besoins de l’armée exigent ma présence dans ces environs ; il est impossible que je puisse m’éloigner jusqu’à venir à Milan ; il me faudrait cinq ou six jours et il peut arriver pendant ce temps-là des mouvements où ma présence pourrait être urgente ici. Tu m’assures que ta santé est bonne ; je te prie, en conséquence, de venir à Brescia. J’envoie, à l’heure même, Murat[14] pour t’y préparer un logement dans la ville, comme tu le désires. Je crois que tu feras bien d’aller coucher le 6 (thermidor), en partant fort tard de Milan, et de venir le 7 à Brescia, où le plus tendre des amants t’attend. Je suis désespéré que tu puisses croire, ma bonne amie, que mon cœur puisse s’ouvrir à d’autres qu’à toi ; il t’appartient par droit de conquête, et cette conquête sera solide et éternelle. Je ne sais pourquoi tu parles de madame T., dont je me soucie fort peu, ainsi que des femmes de Brescia. Quant à tes lettres, qu’il te fâche que j’ouvre, celle-ci sera la dernière ; ta lettre n’était pas arrivée. Adieu, ma tendre amie, donne-moi souvent de tes nouvelles. Viens promptement me joindre, et sois heureuse et sans inquiétude ; tout va bien, et mon cœur est à toi pour la vie. Aie soin de rendre à l’adjudant-général Miollis la boîte de médailles qu’il m’écrit t’avoir remise. Les hommes sont si mauvaises langues et si méchants, qu’il faut se mettre en règle sur tout. Santé, amour et prompte arrivée à Brescia. J’ai à Milan une voiture à la fois de ville et de campagne, tu te serviras de celle-là pour venir. Porte avec toi ton argenterie et une partie des objets qui te sont nécessaires. Voyage à petites journées et pendant le frais, afin de ne pas te fatiguer. La troupe ne met que trois jours pour se rendre à Brescia. Il y a en poste pour quatorze heures de chemin. Je t’invite à coucher le 6 (thermidor) à Cassano ; je viendrai à ta rencontre le 7, le plus loin possible. Adieu, ma Joséphine, mille tendres baisers.


XVI

Brescia, le 10 août 1796.

J’arrive, mon adorable amie, ma première pensée est de t’écrire. Ta santé et ton image ne sont pas sortis un instant de ma mémoire pendant toute la route. Je ne serai tranquille que lorsque j’aurai reçu des lettres de toi. J’en attends avec impatience. Il n’est pas possible que tu te peignes mon inquiétude. Je t’ai laissée triste, chagrine et demi-malade. Si l’amour le plus profond et le plus tendre pouvait te rendre heureuse, tu devrais l’être… Je suis accablé d’affaires. Adieu, ma douce Joséphine ; aime-moi bien, porte-toi bien, et pense souvent à moi.


XVII

Brescia, le 31 août 1796.

Je pars à l’instant pour Vérone. J’avais espéré recevoir une lettre de toi ; cela me met dans une inquiétude affreuse. Tu étais un peu malade lors de mon départ, je t’en prie, ne me laisse pas dans une pareille inquiétude. Tu m’avais promis plus d’exactitude ; ta langue était cependant bien d’accord alors avec ton cœur… Toi, à qui la nature a donné douceur, aménité et tout ce qui plaît, comment peux-tu oublier celui qui t’aime avec tant de chaleur ? Trois jours sans lettre de toi ; je t’ai cependant écrit plusieurs fois. L’absence est horrible, les nuits sont longues, ennuyeuses et fades ; la journée est monotone. Aujourd’hui, seul avec les pensées, les travaux, les écritures, les hommes et les fastueux projets, je n’ai pas même un billet de toi que je puisse presser contre mon cœur. Le quartier général est parti ; je pars dans une heure. J’ai reçu cette nuit un exprès de Paris ; il n’y avait pour toi que la lettre ci-jointe, qui te fera plaisir. Pense à moi, vis pour moi, sois souvent avec ton bien-aimé, et crois qu’il n’est pour lui qu’un seul malheur qui l’effraie, ce serait de n’être plus aimé de Joséphine. Mille baisers bien doux, bien tendres et bien exclusifs.


XVIII

Ala, 3 septembre 1796.

Nous sommes en pleine campagne, mon adorable amie ; nous avons culbuté les postes ennemis ; nous leur avons pris huit ou dix chevaux avec un pareil nombre de cavaliers. J’espère que nous ferons de bonnes affaires, et que nous entrerons dans Trente le 19 (fructidor). Point de lettres de toi, cela m’inquiète vraiment ; l’on m’assure cependant que tu te portes bien, et que même tu as été te promener au lac de Côme. J’attends tous les jours, et avec impatience, le courrier où tu m’apprendras de tes nouvelles ; tu sais combien elles me sont chères. Je ne vis pas, loin de toi ; le bonheur de la vie est près de ma douce Joséphine. Pense à moi ! écris-moi souvent, bien souvent ; c’est le seul remède à l’absence ; elle est cruelle, mais sera j’espère momentanée.


XIX

Montebello, 10 septembre 1796.

L’ennemi a perdu, ma chère amie, dix-huit mille hommes prisonniers ; le reste est tué ou blessé. Wurmser avec une colonne de cinq cents chevaux et cinq mille hommes d’infanterie, n’a plus d’autre ressource qu’à se jeter dans Mantoue. Jamais nous n’avons eu de succès aussi constants et aussi grands. L’Italie, le Frioul, le Tyrol, sont assurés à la République. Il faut que l’empereur crée une seconde armée : artillerie, équipages de pont, bagages, tout est pris.

Sous peu de jours, nous nous verrons ; c’est la plus douce récompense de mes fatigues et de mes peines.

Mille baisers ardents et bien amoureux.


XX

Vérone, 17 septembre 1796.

Je t’écris, ma bonne amie, bien souvent et toi peu. Tu es une méchante et une laide, bien laide autant que tu es légère. Cela est perfidie, tromper un pauvre mari, un tendre amant[15] ! Doit-il perdre ses droits parce qu’il est loin, chargé de besogne, de fatigue et de peine ? Qu’y ferait-il ? Nous avons eu hier une affaire très sanglante ; l’ennemi a perdu beaucoup de monde et a été complètement battu. Nous lui avons pris le faubourg de Mantoue. Adieu, adorable Joséphine. Une de ces nuits, les portes s’ouvriront avec fracas, comme un jaloux et me voilà dans tes bras. Mille baisers amoureux.


XXI

Modène, le 17 octobre 1796, neuf heures du soir.

J’ai été avant-hier toute la journée en campagne. J’ai gardé hier le lit. La fièvre et un violent mal de tête, tout cela m’a empêché d’écrire à mon adorable amie ; mais j’ai reçu ses lettres, je les ai pressées contre mon cœur et mes lèvres, et la douleur de l’absence, cent milles d’éloignement, ont disparu. Dans ce moment, je t’ai vue près de moi, non capricieuse et fâchée, mais douce, tendre, avec cette onction de bonté, qui est exclusivement le partage de ma Joséphine. C’était un rêve ; juge si cela m’a guéri de la fièvre. Tes lettres sont froides comme cinquante ans ; elles ressemblent à quinze ans de mariage. On y voit l’amitié et les sentiments de cet hiver de la vie. Fi ! Joséphine !… C’est bien méchant, bien mauvais, bien traître à vous. Que vous reste-t-il pour me rendre bien à plaindre ? Ne plus m’aimer ? Eh ! c’est déjà fait, Me haïr ? Eh bien, je le souhaite ; tout avilit, hors la haine ; mais l’indifférence au pouls de marbre[16], à l’œil fripon, à la démarche monotone !…[17] Mille baisers bien tendres, comme mon cœur.


XXII

Vérone, le 9 novembre 1796.

Je suis arrivé depuis avant-hier à Vérone, ma bonne amie. Quoique fatigué, je suis bien portant, bien affairé, et je t’aime toujours à la passion. Je monte à cheval. Je t’embrasse mille fois.


XXIII

Caldiéro, le 13 novembre 1796.

Je ne t’aime plus du tout ; au contraire je te déteste[18]. Tu es une vilaine, bien gauche, bien bête, bien cendrillon. Tu ne m’écris pas du tout, tu n’aimes pas ton mari ; tu sais le plaisir que tes lettres lui font, et tu ne lui écris pas six lignes jetées au hasard ! Que faites-vous donc toute la journée, madame ? Quelle affaire si importante vous ôte le temps d’écrire à votre bien bon amant ? Quelle affection étouffe et met de côté l’amour, le tendre et constant amour que vous lui avez promis ? Quel peut être ce merveilleux, ce nouvel amant qui absorbe tous vos instants, tyrannise vos journées et vous empêche de vous occuper de votre mari ? Joséphine, prenez-y garde, une belle nuit les portes enfoncées, et me voilà. En vérité, je suis inquiet, ma bonne amie, de ne pas recevoir de tes nouvelles ; écris-moi vite quatre pages, et de ces aimables choses qui remplissent mon cœur de sentiment et de plaisir. J’espère qu’avant peu je te serrerai dans mes bras, et je te couvrirai d’un million de baisers brûlants comme sous l’Équateur.


XXIV

Vérone, le 19 novembre 1796.

Enfin, mon adorable Joséphine, je renais ; la mort n’est plus devant mes yeux, et la gloire et l’honneur sont encore dans mon cœur, l’ennemi est battu à Arcole. Demain nous réparons la sottise de Vaubois qui a abandonné Rivoli. Mantoue dans huit jours sera à nous, et je pourrai bientôt dans tes bras te donner mille preuves de l’ardent amour de ton mari. Dès l’instant que je le pourrai, je me rendrai à Milan ; je suis un peu fatigué.

J’ai reçu une lettre d’Eugène et d’Hortense ; ces enfants sont charmants.

Comme toute ma maison est un peu dispersée, du moment que tout m’aura rejoint, je te les enverrai.

Nous avons fait cinq mille prisonniers et tué au moins six mille hommes aux ennemis ; adieu, mon adorable Joséphine ; pense à moi souvent. Si tu cessais d’aimer ton Achille, ou si ton cœur se refroidissait pour lui, tu serais bien affreuse, bien injuste ; mais je suis sûr que tu seras toujours mon amante comme je serai toujours ton tendre ami.

La mort, elle seule, pourra rompre l’union que la sympathie, l’amour et le sentiment ont formée.

Donne-moi des nouvelles du petit ventre[19]. Mille et mille baisers tendres et amoureux.


XXV

Vérone, 24 novembre 1796.

J’espère bientôt, ma douce amie, être dans tes bras. Je t’aime à la fureur. J’écris à Paris par ce courrier. Tout va bien. Wurmser a été battu hier sous Mantoue. Il ne manque à ton mari que l’amour de Joséphine pour être heureux.


XXVI

Milan, novembre 1796.

J’arrive à Milan ; je me précipite dans ton appartement ; j’ai tout quitté pour te voir, te presser dans mes bras… tu n’y étais pas ; tu cours les villes avec les fêtes ; tu t’éloignes de moi, lorsque j’arrive et ne te soucies plus de ton cher Napoléon. Un caprice t’a fait l’aimer, l’inconstance te le rend indifférent. Accoutumé aux dangers, je sais le remède aux ennuis et aux maux de la vie. Le malheur que j’éprouve est incalculable ; j’avais le droit de n’y pas compter. Je serai ici jusqu’au 9 (frimaire) dans la journée. Ne te dérange pas, cours les plaisirs[20], le bonheur est fait pour toi. Le monde entier est trop heureux s’il peut te plaire, et ton mari seul est bien, bien malheureux.


XXVII

Milan, le 28 novembre 1796.

Je reçois le courrier que Berthier[21] avait expédié à Gênes. Tu n’as pas eu le temps de m’écrire, je le sens facilement. Environnée de plaisirs et de jeux, tu aurais tort de me faire le moindre sacrifice. Berthier a bien voulu me montrer la lettre que tu lui as écrite. Mon intention n’est pas que tu déranges rien à tes calculs, ni aux parties de plaisir qui te sont offertes ; je n’en vaux pas la peine, et le bonheur ou le malheur d’un homme que tu n’aimes pas, n’a pas le droit d’intéresser. Pour moi, t’aimer seule, te rendre heureuse, ne rien faire qui puisse te contrarier, voilà le destin et le but de ma vie. Sois heureuse, ne me reproche rien, ne t’intéresse pas à la félicité d’un homme qui ne vit que de ta vie, ne jouit que de tes plaisirs et de ton bonheur. Quand j’exige de toi un amour pareil au mien, j’ai tort. Pourquoi vouloir que la dentelle pèse autant que l’or ? Quand je te sacrifie tous mes désirs, toutes mes pensées, tous les instants de ma vie, j’obéis à l’ascendant que tes charmes, ton caractère et toute ta personne ont su prendre sur mon malheureux cœur. J’ai tort, si la nature ne m’a pas donné les attraits pour te captiver ; mais ce que je mérite de la part de Joséphine, ce sont des égards, de l’estime, car je l’aime à la fureur et uniquement.

Adieu, femme adorable, adieu, ma Joséphine. Puisse le sort concentrer dans mon cœur tous les chagrins et toutes les peines ; mais qu’il donne à ma Joséphine des jours prospères et heureux. Qui le mérite plus qu’elle ? Quand il sera constaté qu’elle ne peut plus aimer, je renfermerai ma douleur profonde, et je me contenterai de pouvoir lui être utile et bon à quelque chose. Je rouvre ma lettre pour te donner un baiser… Ah ! Joséphine ! Joséphine !


XXVIII

Ancône, le 10 février 1797.

Nous sommes à Ancône depuis deux jours. Nous avons pris la citadelle après une petite fusillade, et par un coup de main. Nous avons fait douze cents prisonniers ; j’ai renvoyé les cinquante officiers chez eux. Je suis toujours à Ancône. Je ne te fais pas venir, parce que tout n’est pas encore terminé ; mais sous peu de jours j’espère que cela sera terminé. D’ailleurs, ce pays-ci est très maussade, et tout le monde a peur. Je pars demain pour les montagnes. Tu ne m’écris point ; tu devais cependant me donner de tes nouvelles tous les jours. Je te prie d’aller te promener tous les jours ; cela te fera du bien. Je te donne un million de baisers. Je ne me suis jamais autant ennuyé qu’à cette vilaine guerre-ci. Adieu, ma douce amie, pense à moi.


XXIX

Ancône, le 13 février 1797.

Je ne reçois pas de tes nouvelles, et je ne doute pas que tu ne m’aimes plus. Je t’ai envoyé des journaux et différentes lettres. Je pars à l’instant pour passer les montagnes. Du moment que je saurai à quoi m’en tenir, je te ferai venir avec moi ; c’est le vœu le plus cher de mon cœur. Mille et mille baisers.


XXX

Bologne, le 16 février 1797.

Tu es triste, tu es malade, tu ne m’écris plus, tu veux t’en aller à Paris. N’aimerais-tu plus ton ami ? Cette idée me rend malheureux. Ma douce amie, la vie est pour moi insupportable, depuis que je suis instruit de ta tristesse. Je m’empresse de t’envoyer Mascati, afin qu’il puisse te soigner. Ma santé est un peu faible, mon rhume dure toujours. Je te prie de te ménager, de m’aimer autant que je t’aime, et de m’écrire tous les jours. Mon inquiétude est sans égale. J’ai dit à Mascati de t’accompagner à Ancône, si tu veux y venir. Je t’écrirai là pour te faire savoir où je suis. Peut-être ferai-je la paix avec le Pape[22], et serai-je bientôt près de toi : c’est le vœu le plus ardent de mon âme. Je te donne cent baisers. Crois que rien n’égale mon amour, si ce n’est mon inquiétude. Écris-moi tous les jours toi-même. Adieu, très chère amie.


XXXI

Tolentino, le 19 février 1797.

La paix avec Rome vient d’être signée. Bologne, Ferrare, la Romagne sont cédées à la République. Le pape nous donne trente millions dans peu de temps, et des objets d’art. Je pars demain matin pour Ancône, et de là pour Rimini, Ravenne et Bologne. Si ta santé te le permet, viens à Rimini ou Ravenne, mais ménage-toi, je t’en conjure.

Pas un mot de ta main, bon Dieu ! qu’ai-je donc fait ? Ne penser qu’à toi, n’aimer que Joséphine, ne vivre que pour ma femme, ne jouir que du bonheur de mon amie, cela doit-il me mériter de sa part un traitement si rigoureux ? Mon amie, je t’en conjure, pense souvent à moi, et écris-moi tous les jours ; tu es malade ou tu ne m’aimes pas ! Crois-tu donc que mon cœur soit de marbre ? Et mes peines t’intéressent-elles si peu ? Tu me connaîtrais bien mal ! Je ne puis le croire.

Toi, à qui la nature a donné l’esprit, la douceur et la beauté, toi qui seule pouvais régner dans mon cœur, toi qui sais trop, sans doute, l’empire absolu que tu as sur moi. Écris-moi, pense à moi, et aime-moi. Pour la vie à toi.


XXXII

La Malmaison, 1er juillet 1803.

J’ai reçu ta lettre du 10 messidor[23]. Tu ne me parles pas de ta santé ni de l’effet des bains. Je vois que tu comptes être de retour dans huit jours ; cela fait grand plaisir à ton ami, qui s’ennuie d’être seul. Tu dois avoir vu le général Ney[24], qui part pour Plombières ; il se mariera à son retour. Hortense a joué hier Rosine dans le Barbier de Séville avec son intelligence ordinaire[25].


XXXIII

Calais, le 6 août 1804[26].

Mon amie, je suis à Calais, depuis minuit ; je pense en partir ce soir pour Dunkerque. Je suis content de ce que je vois et assez bien de santé. Je désire que les eaux[27] te fassent autant de bien que m’en font le mouvement, la vue des camps et la mer. Eugène est parti pour Blois. Hortense se porte bien. Louis est à Plombières. Je désire beaucoup te voir. Tu es toujours nécessaire à mon bonheur. Mille choses aimables chez toi.


XXXIV

Ostende, le 14 août1804.

Mon amie, je n’ai pas reçu de tes nouvelles depuis plusieurs jours ; cependant j’aurais été fort aise d’être instruit du bon effet des eaux et de la manière dont tu passes ton temps. Je suis depuis huit jours à Ostende. Je serai après-demain à Boulogne pour une fête assez brillante. Instruis-moi, par le courrier, de ce que tu comptes faire, et de l’époque où tu dois terminer tes bains. Je suis très satisfait de l’armée et des flottilles. Eugène est toujours à Blois. Je n’entends pas plus parler d’Hortense que si elle était au Congo. Je lui écris pour la gronder. Mille choses aimables pour tous.


XXXV

Manheim, le 2 octobre 1805.

Je suis encore ici en bonne santé. Je pars pour Stuttgard, où je serai ce soir. Les grandes manœuvres commencent. L’armée de Wurtemberg et de Bade se réunit à la mienne. Je suis en bonne position et je t’aime[28].


XXXVI

Louisbourg, le 4 octobre 1805.

Je suis à Louisbourg. Je pars cette nuit. Il n’y a encore rien de nouveau. Ma réunion avec les Bavarois est faite. Je me porte bien. J’espère avoir, dans peu de jours, quelque chose d’intéressant à te mander. Porte-toi bien, et crois à tous mes sentiments. Il y a ici une très belle cour, une nouvelle mariée fort belle et en tout des gens fort aimables ; même notre électrice, qui paraît fort bonne, quoique fille du roi d’Angleterre.


XXXVII

Louisbourg, le 5 octobre 1805.

Je pars à l’instant pour continuer ma marche. Tu seras, mon amie, cinq ou six jours sans avoir de mes nouvelles ; ne t’inquiète pas, cela tient aux opérations qui vont avoir lieu. Tout va bien, et comme je le pouvais espérer. J’ai assisté ici à une noce du fils de l’électeur de Wurtemberg avec une nièce du roi de Prusse. Je désire donner une corbeille de 36 à 40 000 francs à la jeune princesse. Fais-la faire et envoie-la par un de mes chambellans à la nouvelle mariée, lorsque ces chambellans viendront me rejoindre. Il faut que ce soit fait sur-le-champ. Adieu, mon amie, je t’aime et je t’embrasse.


XXXVIII

Augsbourg, le 10 octobre 1805.

J’ai couché aujourd’hui chez l’ancien électeur de Trêves, qui est fort bien logé. Depuis huit jours je cours. Des succès assez notables ont commencé la campagne. Je me porte fort bien, quoiqu’il pleuve presque tous les jours. Les événements se suivent avec rapidité. J’ai envoyé en France 4 000  prisonniers, 8 drapeaux, et j’ai 14 pièces de canon à l’ennemi. Adieu, mon amie, je t’embrasse.


XXXIX

Le 12 octobre 1805.

Mon armée est entrée à Munich. L’ennemi est au delà de l’Inn d’un côté ; l’autre armée de 60 000 hommes, je la tiens bloquée sur l’Iller, entre Ulm et Memmingen. L’ennemi est perdu, a perdu la tête, et tout m’annonce la plus heureuse campagne, la plus courte et la plus brillante qui ait été faite[29]. Je pars dans une heure pour Burgon-sur-l’Iller. Je me porte bien ; le temps est cependant affreux. Je change d’habit deux fois par jour, tant il pleut. Je t’aime et t’embrasse.


XL

Elchingen, le 18 octobre 1805.

J’ai été, ma bonne Joséphine, plus fatigué qu’il ne le fallait ; une semaine entière et toutes les journées l’eau sur le corps et les pieds froids, m’ont fait un peu de mal ; mais, la journée d’aujourd’hui, où je ne suis pas sorti, m’a reposé. J’ai rempli mon dessein ; j’ai détruit l’armée autrichienne par de simples marches ; j’ai fait 60 000 prisonniers, pris 120 pièces de canon, plus de 90 drapeaux et plus de 30 généraux. Je vais me porter sur les Russes ; il sont perdus. Je suis content de mon armée. Je n’ai perdu que, 1 500 hommes dont les deux tiers faiblement blessés. Adieu, ma Joséphine ; mille choses aimables partout. Le prince Charles vient couvrir Vienne. Je pense que Masséna doit être à cette heure à Vienne. Dès l’instant que je serai tranquille pour l’Italie, je ferai battre Eugène. Mille choses aimables à Hortense.


XLI

Ulm, le 21 octobre 1805.

Je me porte assez bien, ma bonne amie. Je pars à l’instant pour Augsbourg. J’ai fait mettre bas les armes à 33 000 hommes. J’ai de 60 à 70 000 prisonniers, plus de 90 drapeaux et de 200 pièces de canon. Jamais catastrophe pareille dans les annales militaires ! Porte-toi bien. Je suis un peu harassé. Le temps est beau depuis trois jours. La première colonne de prisonniers file aujourd’hui sur la France. Chaque colonne est de 6 000 hommes.


XLII

Augsbourg, le 23 octobre 1805.

Les deux dernières nuits m’ont bien reposé, et je vais partir demain pour Munich. Je mande M. de Talleyrand[30] et M. Maret[31] près de moi ; je les verrai peu et je vais me rendre sur l’Inn, pour attaquer l’Autriche au sein de ses États héréditaires. J’aurais bien désiré te voir : mais ne compte pas que je t’appelle, à moins qu’il n’y ait un armistice ou des quartiers d’hiver. Adieu, mon amie ; mille baisers. Mille compliments à ces dames[32].


XLIII

Munich, le 27 octobre 1805.

J’ai reçu par Lemarrois[33] ta lettre. J’ai vu avec peine que tu t’étais trop inquiétée. L’on m’a donné des détails qui m’ont prouvé toute la tendresse que tu me portes ; mais il faut plus de force et de confiance. J’avais d’ailleurs prévenu que je serais six jours sans t’écrire. J’attends demain l’électeur. À midi, je pars pour confirmer mon mouvement sur l’Inn. Ma santé est assez bonne. Il ne faut pas penser passer le Rhin avant quinze ou vingt jours. Il faut être gaie, t’amuser, et espérer qu’avant la fin du mois (brumaire) nous nous verrons. Je m’avance contre l’armée russe. Dans quelques jours j’aurai passé l’Inn. Adieu, ma bonne amie ; mille choses aimables à Hortense, à Eugène, et aux deux Napoléon. Garde la corbeille quelque temps encore. J’ai donné hier aux dames de cette cour un concert. Le maître de chapelle est un homme de mérite. J’ai chassé à une faisanderie de l’électeur ; tu vois que je ne suis pas si fatigué. M. de Talleyrand est arrivé.


XLIV

Haag, le 3 novembre 1805.

Je suis en grande marche ; le temps est très froid, la terre couverte d’un pied de neige. Cela est un peu rude. Il ne manque heureusement pas de bois ; nous sommes ici toujours dans les forêts. Je me porte assez bien. Mes affaires vont d’une manière satisfaisante ; mes ennemis doivent avoir plus de soucis que moi. Je désire avoir de tes nouvelles et apprendre que tu es sans inquiétude. Adieu, mon amie, je vais me coucher.


XLV

Lintz, le 5 novembre 1805.

Je suis à Lintz. Le temps est beau. Nous sommes à vingt-huit lieues de Vienne. Les Russes ne tiennent pas ; ils sont en grande retraite. La maison d’Autriche est fort embarrassée ; à Vienne, on évacue tous les bagages de la cour. Il est probable que d’ici à cinq ou six jours, il y aura du nouveau. Je désire bien te revoir. Ma santé est bonne, je t’embrasse.


XLVI

Vienne, le 15 novembre 1805.

Je suis à Vienne depuis deux jours, ma bonne amie, un peu fatigué. Je n’ai pas encore vu la ville de jour ; je l’ai parcourue la nuit. Demain, je reçois les notables. Presque toutes mes troupes sont au delà du Danube, à la poursuite des Russes. Adieu, ma Joséphine ; du moment que cela sera possible, je te ferai venir. Mille choses aimables pour toi.


XLVII

Vienne, le 16 novembre 1805.

J’écris à M. d’Harville pour que tu partes et que tu te rendes à Bade, de là à Stuttgard et de là à Munich. Tu donneras, à Stuttgard, la corbeille à la princesse Paul[34]. Il suffit qu’il y ait pour quinze à vingt mille francs ; le reste sera pour faire des prêsents, à Munich, aux filles de l’électeur de Bavière. Tout ce que tu as su par madame de Sérent est définitivement arrangé. Porte de quoi faire des présents aux dames et aux officiers qui seront de service près de toi. Sois honnête, mais reçois tous les hommages : l’on te doit tout, et tu ne dois rien que par honnêteté. L’électrice de Wurtemberg est fille du roi d’Angleterre ; c’est une bonne femme, tu dois la bien traiter, mais cependant sans affectation. Je serai bien aise de te voir, du moment que mes affaires me le permettront. Je pars pour mon avant-garde. Il fait un temps affreux, il neige beaucoup ; du reste, toutes mes affaires vont bien ; adieu, ma bonne amie.


XLVIII

Austerlitz, le 3 décembre 1805.

Je t’ai expédié Lebrun[35] du champ de bataille. J’ai battu l’armée russe et autrichienne commandées par les deux empereurs. Je me suis un peu fatigué : j’ai bivouaqué huit jours en plein air, par des nuits assez fraîches. Je couche ce soir dans le château du prince de Kaunitz, où je vais dormir deux ou trois heures. L’armée russe est non seulement battue mais détruite. Je t’embrasse.


XLIX

Austerlitz, le 4 décembre 1805.

J’ai conclu une trêve. Les Russes s’en vont. La bataille d’Austerlitz est la plus belle de toutes celles que j’ai données : 45 drapeaux, plus de 150 pièces de canon, les étendards de la garde de Russie, 20 généraux, plus de 20 000 tués ; spectacle horrible ! L’empereur Alexandre est au désespoir, et s’en va en Russie. J’ai vu hier à mon bivouac l’empereur d’Allemagne ; nous causâmes deux heures ; nous sommes convenus de faire vite la paix. Le temps n’est pas encore très mauvais. Voilà enfin le repos rendu au continent ; il faut espérer qu’il va l’être au monde, les Anglais ne sauraient nous faire front. Je verrai avec bien du plaisir le moment qui me rapprochera de toi. Il court un petit mal d’yeux qui dure deux jours ; je n’ai pas encore été atteint. Adieu, ma bonne amie, je me porte assez bien et suis fort désireux de t’embrasser.


L

Austerlitz, le 7 décembre 1805.

J’ai conclu un armistice ; avant huit jours la paix sera faite. Je désire apprendre que tu es arrivée à Munich en bonne santé. Les Russes s’en vont, ils ont fait une perte immense. Plus de 20 000 morts, et 30 000 pris ; leur armée est réduite des trois quarts. Buxhowden, leur général en chef, est tué. J’ai 3 000 blessés et 7 à 800 morts. J’ai un peu mal aux yeux ; c’est une maladie courante et très peu de chose. Adieu, mon amie ; je désire bien te revoir. Je vais coucher ce soir à Vienne.


LI

Brunn, le 10 décembre 1805.

Il y a fort longtemps que je n’ai reçu de tes nouvelles. Les belles fêtes de Bade, de Stuttgard et de Munich, font-elles oublier les pauvres soldats qui vivent couverts de boue, de pluie et de sang ? Je vais partir sous peu pour Vienne. On travaille à conclure la paix. Les Russes sont partis, et fuient loin d’ici ; ils s’en retournent en Russie bien battus et fort humiliés. Je désire bien me retrouver près de toi. Adieu, mon amie ; mon mal d’yeux est guéri.


LII

Brunn, le 19 décembre 1803.

Grande impératrice, pas une lettre de vous depuis votre départ de Strasbourg. Vous avez passé à Bade, à Stuttgard, à Munich, sans nous écrire un mot. Ce n’est pas bien aimable, ni bien tendre ! Je suis toujours à Brunn. Les Russes sont partis, j’ai une trève. Dans peu de jours, je verrai ce que je deviendrai. Daignez, du haut de vos grandeurs, vous occuper un peu de vos esclaves[36].


LII

Schœnbrunn, le 29 frimaire an XIV (20 décembre 1805.)

Je reçois ta lettre du 25 (frimaire). J’apprends avec peine que tu es souffrante ; ce n’est pas là une bonne disposition pour faire cent lieues dans cette saison. Je ne sais ce que je ferai : je dépends des événements ; je n’ai pas de volonté : j’attends tout de leur issue. Reste à Munich, amuse-toi ; cela n’est pas difficile lorsqu’on a tant de personnes aimables, et dans un si beau pays. Je suis, moi, assez occupé. Dans quelques jours, je serai décidé. Adieu, mon amie, mille choses aimables et tendres[37].


LIV

5 octobre 1806.

Il n’y a pas d’inconvénient que la princesse de Bade se rende à Mayence. Je ne sais pas pourquoi tu pleures ; tu as tort de te faire du mal. Hortense est un peu pédante ; elle aime à donner des conseils. Elle m’a écrit, je lui réponds. Il faut qu’elle soit heureuse et gaie. Le courage et la gaieté, voilà la recette[38].


LV

Bamberg, 7 octobre 1806.

Je pars ce soir, mon amie, pour Cronach. Toute mon armée est en mouvement. Tout marche bien, ma santé est parfaite. Je n’ai encore reçu qu’une lettre de toi. J’en ai reçu d’Eugène et d’Hortense. Stéphanie doit être chez toi. Son mari[39] veut faire la guerre ; il est avec moi. Adieu, mille baisers et bonne santé.


LVI

Géra, le 13 octobre 1806, deux heures du matin.

Je suis aujourd’hui à Géra, ma bonne amie ; mes affaires vont fort bien, et tout comme je pouvais l’espérer. Avec l’aide de Dieu, en peu de jours cela aura un caractère bien terrible, je crois, pour le pauvre roi de Prusse, que je plains personnellement, parce qu’il est bon. La reine[40] est à Erfurt avec le roi. Si elle veut voir une bataille, elle aura ce cruel plaisir. Je me porte à merveille ; j’ai déjà engraissé depuis mon départ ; cependant, je fais de ma personne vingt et vingt-cinq lieues par jour, à cheval, en voiture, de toutes les manières. Je me couche à huit heures, et suis levé à minuit : je songe quelquefois que tu n’es pas encore couchée. Tout à toi.


LVII

Iéna, le 15 octobre 1806, trois heures du matin.

Mon amie, j’ai fait de belles manœuvres contre les Prussiens. J’ai remporté hier une grande victoire. Ils étaient 150 000 hommes ; j’ai fait 20 000 prisonniers, pris 100 pièces de canon et des drapeaux. J’étais en présence et près du roi de Prusse ; j’ai manqué de le prendre, ainsi que la reine. Je bivouaque depuis deux jours. Je me porte à merveille. Adieu, mon amie, porte-toi bien, et aime-moi. Si Hortense est à Mayence, donne-lui un baiser, ainsi qu’à Napoléon et au petit.


LVIII

Weimar,le 16 octobre 1806.

M. Talleyrand t’aura montré le bulletin, ma bonne amie ; tu y auras vu mes succès. Tout a été comme je l’avais calculé, et jamais une armée n’a été plus battue, et plus entièrement perdue. Il me reste à te dire que je me porte bien, et que la fatigue, le bivouac, les veilles m’ont engraissé. Adieu, ma bonne amie, mille choses aimables à Hortense et au grand M. Napoléon[41].


LIX

Vittemberg, 23 octobre 1806.

J’ai reçu plusieurs lettres de toi. Je ne t’écris qu’un mot : mes affaires vont bien. Je serai demain à Postdam, et le 25 à Berlin. Je me porte à merveille ; la fatigue me réussit. Je suis bien aise de te savoir avec Hortense et Stéphanie en grande compagnie. Le temps a été beau jusqu’à présent. Mille amitiés à Stéphanie et à tout le monde, sans oublier M. Napoléon. Adieu, mon amie. Tout à toi.


LX

Postdam, 24 octobre 1806.

Je suis à Postdam, ma bonne amie, depuis hier ; j’y resterai aujourd’hui. Je continue à être satisfait des affaires. Ma santé est bonne ; le temps très beau. Je trouve Sans-Souci très agréable Adieu, mon amie. Bien des choses à Hortense et à M. Napoléon.


LXI

Berlin, le 1er novembre 1806[42].

Talleyrand arrive, et me dit, mon amie, que tu ne fais que pleurer. Que veux-tu donc ? Tu as ta fille, tes petits-enfants et de bonnes nouvelles ; voilà bien des moyens d’être contente et heureuse. Le temps est ici superbe ; il n’a pas encore tombé de toute la campagne une seule goutte d’eau. Je me porte fort bien, et tout va au mieux. Adieu, mon amie, j’ai reçu une lettre de M. Napoléon ; je ne crois pas qu’elle soit de lui, mais d’Hortense. Mille choses à tout le monde.


LXII

Berlin, le 6 novembre 1806, neuf heures du soir.

J’ai reçu la lettre où tu me parais fâchée du mal que je dis des femmes[43] ; il est vrai que je hais les femmes intrigantes, au delà de tout. Je suis accoutumé à des femmes bonnes, douces et conciliantes ; ce sont celles que j’aime. Si elles m’ont gâté, ce n’est pas ma faute, mais la tienne. Au reste, tu verras que j’ai été fort bon pour une qui s’est montrée sensible et bonne, madame d’Hatzfeld[44]. Lorsque je lui montrai la lettre de son mari, elle me dit en sanglotant, avec une profonde sensibilité et naïvement : « Ah ! c’est bien là son écriture ! » Lorsqu’elle lisait, son accent allait à l’âme ; elle me fit peine. Je lui dis : « Eh bien ! madame, jetez cette lettre au feu, je ne serai pas assez puissant pour faire punir votre mari. » Elle brûla la lettre, et me parut bien heureuse. Son mari est depuis fort tranquille ; deux heures plus tard, il était perdu. Tu vois donc que j’aime les femmes bonnes, naïves et douces ; mais c’est que celles-là seules te ressemblent. Adieu, mon amie, je me porte bien.


LXIII

Berlin, le 16 novembre 1806.

Je vois avec satisfaction que mes sentiments te font plaisir. Tu as tort de penser qu’ils puissent être flattés, je t’ai parlé de toi comme je te vois. Je suis affligé de penser que tu t’ennuies à Mayence. Si le voyage n’était pas si long, tu pourrais venir jusqu’ici car il n’y a plus d’ennemi, ou il est au delà de la Vistule, c’est-à-dire à plus de cent vingt lieues d’ici. J’attendrai ce que tu en penses. Je serai bien aise aussi de voir M. Napoléon. Adieu, ma bonne amie. Tout à toi.


LXIV

Berlin, le 22 novembre 1806.

Sois contente, heureuse de mon amitié, de tout ce que tu m’inspires. Je me déciderai dans quelques jours à t’appeler ici, ou à t’envoyer à Paris. Adieu, mon amie ; tu peux actuellement aller, si tu veux, à Darmstadt, à Francfort ; cela te dissipera. Mille choses à Hortense.


LXV

Custrin, 26 novembre 1806.

Je suis à Custrin pour faire quelques reconnaissances, je verrai dans deux jours si tu dois venir. Tu peux te tenir prête. Je serai fort aise que la reine de Hollande soit du voyage. Il faut que la grande-duchesse de Bade en écrive à son mari. Il est deux heures du matin ; je viens de me lever ; c’est l’usage de la guerre. Mille choses aimables à toi et à tout le monde.


LXVI

Meseritz, le 27 novembre 1806.

Je vais faire un tour en Pologne ; c’est ici la première ville. Je serai ce soir à Posen, après quoi je t’appellerai à Berlin, afin que tu y arrives le même jour que moi[45]. Ma santé est bonne, le temps un peu mauvais ; il pleut depuis trois jours. Mes affaires vont bien. Les Russes fuient.


LXVII

Posen, le 28 novembre 1806.


Je suis à Posen, capitale de la grande Pologne. Le froid commence ; je me porte bien. Je vais faire une tournée en Pologne. Mes troupes sont aux portes de Varsovie. Adieu, mon amie, mille choses aimables. Je t’embrasse de cœur.


LXVIII

Posen, le 2 décembre 1806.

C’est aujourd’hui l’anniversaire d’Austerlitz. J’ai été à un bal de la ville. Il pleut. Je me porte bien. Je t’aime et te désire. Mes troupes sont à Varsovie. Il n’a pas encore fait froid. Toutes ces Polonaises sont Françaises, mais il n’y a qu’une femme pour moi. La connaîtrais-tu ? Je te ferais bien son portrait ; mais il faudrait trop le flatter pour que tu te reconnusses ; cependant, à dire vrai, mon cœur n’aurait que de bonnes choses à en dire. Ces nuits-ci sont longues, tout seul. Tout à toi.


LXIX

Posen, le 3 décembre 1806, midi.

Je reçois ta lettre du 26 novembre ; j’y vois deux choses : tu me dis que je ne lis pas tes lettres ; cela est mal pensé. Je te sais mauvais gré d’une si mauvaise opinion. Tu me dis que ce pourrait être par quelque rêve de la nuit, et tu ajoutes que tu n’es pas jalouse. Je me suis aperçu depuis longtemps que les gens colères soutiennent toujours qu’ils ne sont pas colères ; que ceux qui ont peur disent souvent qu’ils n’ont pas peur ; tu es donc convaincue de jalousie ; j’en suis enchanté ! Du reste, tu as tort ; je ne pense à rien moins, et dans les déserts de la belle Pologne l’on songe peu aux belles. J’ai eu hier un bal de la noblesse de la province ; d’assez belles femmes, assez riches, assez mal mises, quoique à la mode de Paris.


LXX

Posen, le 3 décembre 1806, six heures du soir.

Je reçois ta lettre du 27 novembre, où je vois que ta petite tête s’est montée. Je me suis souvenu de ce vers :

Désir de femme est un feu qui dévore[46].

Il faut cependant te calmer. Je t’ai écrit que j’étais en Pologne, que, lorsque les quartiers d’hiver seraient assis, tu pourrais venir ; il faut donc rester quelques jours. Plus on est grand, et moins on doit avoir de volonté ; l’on dépend des événements et des circonstances. Tu peux aller à Francfort et à Darmstadt. J’espère, sous peu de jours, t’appeler ; mais il faut que les événements le veuillent. La chaleur de ta lettre me fait voir que vous autres jolies femmes, vous ne connaissez pas de barrières ; ce que vous voulez doit être ; mais moi je me déclare le plus esclave des hommes : mon maître n’a pas d’entrailles, et ce maître c’est la nature des choses.


LXXI

Posen, le 10 décembre 1806.

Un officier m’apporte un tapis de ta part ; il est un peu court et étroit ; je ne t’en remercie pas moins. Je me porte assez bien. Le temps est fort variable. Mes affaires vont assez bien. Je t’aime et te désire beaucoup. Adieu, mon amie ; je t’écrirai de venir avec au moins autant de plaisir que tu viendras.


LXXII

Posen, le 12 décembre 1806.

Ma santé est bonne, le temps très doux ; la mauvaise saison n’est pas commencée, mais les chemins sont mauvais dans un pays où il n’y a pas de chaussées. Hortense viendra donc avec Napoléon ; j’en suis enchanté. Il me tarde bien de voir les choses pouvoir me mettre à même de te faire venir. J’ai fait ma paix avec la Saxe. L’électeur est roi, et de la Confédération. Adieu, ma bien-aimée Joséphine. Tout à toi. Un baiser à Hortense, Napoléon et à Stéphanie. Paër, le fameux musicien, sa femme, virtuose que tu as vue à Milan, il y a douze ans, et Brizzi sont ici ; ils me donnent un peu de musique tous les soirs.


LXXIII

Posen, le 16 décembre 1806.

Mon amie, je pars pour Varsovie. Dans une quinzaine de jours je serai de retour. J’espère alors que je pourrai t’appeler. Toutefois, si cela était long, je verrais avec plaisir que tu retournasses à Paris, où tu es désirée. Tu sais bien que je dépends des événements.


LXXIV

Golimin, le 29 décembre 1806, cinq heures du matin.

Je ne t’écris qu’un mot, mon amie, je suis dans une mauvaise grange. J’ai battu les Russes[47], je leur ai pris trente pièces de canon, leurs bagages, et fait six mille prisonniers ; mais le temps est affreux ; il pleut, nous avons de la boue jusqu’aux genoux.


LXXV

Pultusk, le 31 décembre 1806.

J’ai bien ri en recevant tes dernières lettres. Tu le fais des belles de la grande Pologne une idée qu’elles ne méritent pas. J’ai eu deux ou trois jours le plaisir d’entendre Paër et deux chanteuses qui m’ont fait de la très bonne musique. J’ai reçu ta lettre dans une mauvaise grange, ayant de la boue, du vent et de la paille pour tout lit.


LXXVI

Varsovie, le 3 janvier 1807.

J’ai reçu ta lettre, mon amie. Ta douleur me touche ; mais il faut bien se soumettre aux événements. Il y a trop de pays à traverser depuis Mayence jusqu’à Varsovie ; il faut donc que les événements me permettent de me rendre à Berlin, pour que je t’écrive d’y venir. Cependant l’ennemi, battu, s’éloigne ; mais j’ai bien des choses à régler ici. Je serais assez d’opinion que tu retournasses à Paris où tu es nécessaire. Renvoie ces dames qui ont leurs affaires ; tu gagneras d’être débarrassée de gens qui ont dû bien te fatiguer. Je me porte bien ; il fait mauvais. Je t’aime de cœur.


LXXVII

Varsovie, le 7 janvier 1807,

Mon amie, je suis touché de tout ce que tu me dis ; mais la saison est froide, les chemins très mauvais, peu sûrs, je ne puis donc consentir à t’exposer à tant de fatigues. Rentre à Paris pour y passer l’hiver. Va aux Tuileries ; reçois, et fais la même vie que tu as l’habitude de mener quand j’y suis ; c’est là ma volonté. Peut-être ne tarderai-je pas à t’y rejoindre ; mais il est indispensable que tu renonces à faire trois cents lieues dans cette saison, à travers des pays ennemis, et sur les derrières de l’armée. Crois qu’il m’en coûte plus qu’à toi de retarder de quelques semaines le bonheur de te voir ; mais ainsi l’ordonnent les événements et le bien des affaires. Adieu, mon amie, sois gaie et montre du caractère.


LXXVIII

Varsovie, le 8 janvier 1807.

Ma bonne amie, je reçois ta lettre du 27 avec celles de M. Napoléon et d’Hortense, qui y étaient jointes. Je t’avais priée de rentrer à Paris : la saison est trop mauvaise, les chemins peu sûrs et détestables, les espaces trop considérables pour que je permette que tu viennes jusqu’ici, où mes affaires me retiennent. Il te faudrait au moins un mois pour arriver. Tu arriverais malade ; il faudrait peut-être repartir alors ; ce serait donc folie. Ton séjour à Mayence est trop triste, Paris te réclame ; vas-y, c’est mon désir. Je suis plus contrarié que toi ; j’eusse aimé à partager les longues nuits de cette saison avec toi[48] ; mais il faut obéir aux circonstances.


LXXIX

Varsovie, le 16 janvier 1807.

Je me porte fort bien, un peu ennuyé quelquefois de la longueur des nuits. Je vois ici, jusqu’à cette heure, assez peu de monde.


LXXX

Varsovie, le 16 janvier 1807.

Ma bonne amie, j’ai reçu ta lettre du 5 janvier ; tout ce que tu me dis de ta douleur me peine. Pourquoi des larmes, du chagrin ? N’as-tu donc plus de courage ? Je te verrai bientôt : ne doute jamais de mes sentiments ; et, si tu veux m’être plus chère encore, montre du caractère et de la force d’âme. Je suis humilié de penser que ma femme puisse se méfier de mes destinées. Adieu, mon amie ; Je t’aime, je désire te voir, et veux te savoir contente et heureuse.


LXXXI

Varsovie, le 18 janvier 1807.

Je crains que tu n’aies bien du chagrin de notre séparation qui doit encore se prolonger de quelques semaines, et de ton retour à Paris. J’exige que tu aies plus de force. L’on me dit que tu pleures toujours : fi ! que cela est laid ! Ta lettre du 7 janvier me fait de la peine. Sois digne de moi, et prends plus de caractère. Fais à Paris la représentation convenable, et surtout sois contente. Je me porte très bien, et je t’aime beaucoup ; mais si tu pleures toujours je te croirai sans courage et sans caractère. Je n’aime pas les lâches ; une impératrice doit avoir du cœur.


LXXXII

Varsovie, janvier 1807.


Je reçois ta lettre du 15 janvier. Il est impossible que je permette à des femmes un voyage comme celui-ci : mauvais chemins, chemins peu sûrs et fangeux. Retourne à Paris, sois-y gaie, contente ; peut-être y serai-je aussi bientôt. J’ai ri de ce que tu me dis, que tu as pris un mari pour être avec lui. Je pensais, dans mon ignorance, que la femme était faite pour le mari, le mari pour la patrie, la famille et la gloire. Pardon de mon ignorance. On apprend toujours avec nos belles dames. Adieu, mon amie ; crois qu’il m’en coûte de ne pas te faire venir. Dis-toi : c’est une preuve combien je lui suis précieuse.


LXXXllI

Sans date (janvier 1807.)

Mon amie, ta lettre du 20 janvier m’a fait de la peine ; elle est trop triste. Voilà le mal de n’être pas un peu dévote ! Tu me dis que ton bonheur fait ta gloire. Cela n’est pas généreux ; il faut dire : le bonheur des autres fait ma gloire. Cela n’est pas conjugal ; il faut dire : le bonheur de mon mari fait ma gloire. Cela n’est pas maternel ; il faudrait dire : le bonheur de mes enfants fait ma gloire. Or, comme les peuples, ton mari, tes enfants ne peuvent être heureux qu’avec un peu de gloire, il ne faut pas tant en faire fi. Joséphine, votre cœur est excellent, et votre raison faible ; vous sentez à merveille, mais vous raisonnez moins bien. Voilà assez de querelle ; je veux que tu sois gaie, contente de ton sort et que tu obéisses, non en grondant et en pleurant, mais de gaieté de cœur et avec un peu de bonheur. Adieu, mon amie, je pars cette nuit pour parcourir mes avant-postes.


LXXXIV

Eylau, trois heures du matin, 9 février 1807.

Mon amie, il y a eu hier une grande bataille ; la victoire m’est restée, mais j’ai perdu bien du monde ; la perte de l’ennemi, qui est plus considérable encore, ne me console pas. Enfin je t’écris ces deux lignes moi-même, quoique je sois bien fatigué, pour te dire que je suis bien portant et que je t’aime. Tout à toi.


LXXXV

Eylau, 9 février 1807, six heures du soir.

Je t’écris un mot, mon amie, afin que tu ne sois pas inquiète. L’ennemi a perdu la bataille, 40 pièces de canon, 10 drapeaux, 12 000 prisonniers ; il a horriblement souffert. J’ai perdu du monde, 1 600 tués, 3 à 4 000 blessés. Ton cousin Tascher[49] se porte bien ; je l’ai appelé près de moi avec le titre d’officier d’ordonnance. Corbineau[50] a été tué d’un obus. ; je m’étais singulièrement attaché à cet officier, qui avait beaucoup de mérite ; cela me fait de la peine Ma garde à cheval s’est couverte de gloire. D’Allemagne est blessé dangereusement[51]. Adieu, mon amie.


LXXXVI

Eylau, le 11 février.1807 ; trois heuresdu matin.

Je t’écris un mot, mon amie ; tu dois avoir été bien inquiète. J’ai battu l’ennemi dans une mémorable journée, mais qui m’a coûté bien des braves. Le mauvais temps qu’il fait me porte à prendre mes cantonnements. Ne te désole pas, je te prie ; tout cela finira bientôt, et le bonheur de te voir me fera promptement oublier mes fatigues. Du reste, je n’ai jamais été si bien portant. Le petit Tascher, du 4e de ligne, s’est bien comporté ; il a eu une rude épreuve. Je l’ai appelé près de moi, je l’ai fait officier d’ordonnance ; ainsi, voilà ses peines finies. Ce jeune homme m’intéresse. Adieu, mon amie, mille baisers.


LXXXVII

Landsberg, le 18 février 1807.

Je t’écris deux mots. Je me porte bien. Je suis en mouvement pour mettre mon armée en quartier d’hiver. Il pleut et dégèle comme au mois d’avril. Nous n’avons pas encore eu une journée froide. Adieu, mon amie, tout à toi.


LXXXVIII

Liebstadt, 20 février 1807.

Je t’écris deux mots, mon amie, pour que tu ne sois pas inquiète. Ma santé est fort bonne et mes affaires vont bien. J’ai remis mon armée en cantonnements. La saison est bizarre : il gèle et dégèle ; elle est humide et inconstante. Adieu, mon amie.


LXXXIX

Liebstadt, 21 février 1807.

Je reçois ta lettre du 4 février ; j’y vois avec plaisir que ta santé est bonne. Paris achèvera de te rendre la gaieté et le repos, le retour à tes habitudes, la santé. Je me porte à merveille. Le temps et le pays sont mauvais. Mes affaires vont assez bien ; il dégèle et gèle dans vingt-quatre heures ; l’on ne peut voir un hiver aussi bizarre. Adieu, mon amie ; je t’aime, je pense à toi et désire te savoir contente, gaie et heureuse. Tout à toi.


XC

Liebstadt, 22 février 1807.

Je reçois ta lettre du 8, mon amie ; je vois avec plaisir que tu as été à l’Opéra et que tu as le projet de recevoir toutes les semaines. Va quelquefois au spectacle, et toujours en grande loge. Je vois aussi avec plaisir les fêtes qu’on te donne. Je me porte très bien. Le temps est toujours incertain ; il gèle et dégèle. J’ai remis mon armée en cantonnements pour la reposer. Ne sois jamais triste, aime-moi, et crois à tous mes sentiments.


XCI

Au quartier-général, à Osterode, mars 1807.

Je suis dans un mauvais village, où je passerai encore bien du temps ; cela ne vaut pas la grande ville. Je te le répète, je ne me suis jamais si bien porté ; tu me trouveras fort engraissé. J’ai ordonné ce que tu désires pour la Malmaison ; sois gaie et heureuse, c’est ma volonté. — J’attends la belle saison, qui ne doit pas tarder à venir. Je t’aime, et te veux savoir contente et gaie. L’on dira beaucoup de bêtises sur la bataille d’Eylau ; le bulletin dit tout ; les pertes y sont plutôt exagérées qu’amoindries.


XCII

Osterode, le 23 mars 1807.

J’apprends, mon amie, que les mauvais propos que l’on tenait dans ton salon à Mayence se renouvellent ; fais-les donc taire. Je te saurais fort mauvais gré si tu n’y portais pas remède. Tu te laisses affliger par les propos de gens qui devraient te consoler. Je te recommande un peu de caractère, et de savoir mettre tout le monde à sa place[52]. — Mon amie, il ne faut pas aller en petite loge aux petits spectacles ; cela ne convient pas à votre rang ; vous ne devez aller qu’aux quatre grands théâtres et toujours en grande loge. — Pour m’être agréable, il faut, absolument en tout, vivre comme tu vivais lorsque j’étais à Paris. Alors tu ne sortais pas pour aller à de petits spectacles, ou autres lieux. Tu dois toujours aller en grande loge. Pour la vie de chez toi, recevoir là, et avoir tes cercles réglés ; voilà, mon amie, le seul moyen de mériter mon approbation. Les grandeurs ont leurs inconvénients ; une impératrice ne peut pas aller où va une simple particulière.


XCIII

Osterode, le 27 mars 1807.

Mon amie, ta lettre me fait de la peine. Tu ne dois pas mourir ; tu te portes bien, et tu ne peux avoir aucun sujet raisonnable de chagrin. Je pense que tu dois aller au mois de mai à Saint-Cloud ; mais il faut rester tout le mois d’avril à Paris… Tu ne dois pas penser à voyager cet été ; tout cela n’est pas possible ; tu ne dois pas courir les auberges et les camps. Je désire, autant que toi, te voir et vivre tranquille. Je sais faire autre chose que la guerre ; mais le devoir passe avant tout. Toute ma vie, j’ai tout sacrifié, tranquillité, intérêt, bonheur à ma destinée.


XCIV

Finkestein, le 2 avril 1807[53].

Mon amie, je t’écris un mot. Je viens de porter mon quartier-général dans un très beau château, dans le genre de celui de Bessières[54], où j’ai beaucoup de cheminées ; ce qui m’est fort agréable, me levant souvent la nuit ; j’aime à voir le feu. Ma santé est parfaite. Le temps est beau, mais encore froid. Le thermomètre est de quatre à cinq degrés. Adieu, mon amie. Tout à toi.


XCV

Finkestein, le 14 mai 1807.

Je conçois tout le chagrin que doit te causer la mort de ce pauvre Napoléon[55]. Tu peux comprendre la peine que j’éprouve. Je voudrais être près de toi, pour que tu fusses modérée et sage dans ta douleur. Tu as eu le bonheur de ne jamais perdre d’enfants ; mais c’est une des conditions et des peines attachées à notre misère humaine. Que j’apprenne que tu as été raisonnable, et que tu te portes bien ! Voudrais-tu accroître ma peine ? Adieu, mon amie.


XCVI

Finkestein, 24 mai 1807.

Hortense n’est pas raisonnable, et ne mérite pas qu’on l’aime, puisqu’elle n’aimait que ses enfants. Tâche de la calmer, et ne me fais point de peine. À tout mal sans remède, il faut trouver des consolations.


XCVII

Finkestein, 26 mai 1807.

Je reçois ta lettre du 16. J’ai vu avec plaisir qu’Hortense était arrivée à Laeken[56]. Je suis fâché de ce que tu me mandes de l’espèce de stupeur où elle est encore. Il faut qu’elle ait plus de courage, et qu’elle prenne sur elle. Je ne conçois pas pourquoi on veut qu’elle aille aux eaux ; elle serait bien plus dissipée[57] à Paris. Prends sur toi, sois gaie, et porte-toi bien. Ma santé est fort bonne. Adieu, mon amie ; je souffre bien de toutes tes peines ; je suis contrarié de ne pas être auprès de toi.


XCVIII

Dantzick, le 2 juin 1807.

Mon amie, j’apprends ton arrivée à la Malmaison. Je n’ai point de lettres de toi. Je suis fâché contre Hortense ; elle ne m’écrit pas un mot. Tout ce que tu me dis d’elle me peine. Comment n’as-tu pas pu un peu la distraire ? tu pleures ! J’espère que tu prendras sur toi, afin que je ne te trouve pas triste. Je suis à Dantzick depuis deux jours : le temps est fort beau ; je me porte bien. Je pense plus à toi que tu ne penses à un absent. Adieu, mon amie, mille choses aimables. Fais passer cette lettre à Hortense.

Pour la reine Hortense :

2 juin. — Ma fille, vous ne m’avez pas écrit un mot dans votre juste et grande douleur. Vous avez tout oublié, comme si vous n’aviez pas encore de pertes à faire. L’on dit que vous n’aimez plus rien, que vous êtes indifférente à tout ; je m’en aperçois à votre silence. Cela n’est pas bien, Hortense. Ce n’est pas ce que vous nous promettiez. Votre fils était tout pour vous. Votre mère et moi, nous ne sommes donc rien ? Si j’avais été à la Malmaison, j’aurais partagé votre peine ; mais j’aurais aussi voulu que vous vous rendissiez à vos meilleurs amis. Adieu, ma fille ; soyez gaie ; il faut se résigner. Portez-vous bien pour remplir tous vos devoirs. Ma femme est toute triste de votre état ; ne lui faites plus de chagrin. Votre affectionné père.


XCIX

Le 14 juin 1807.

Mon amie, je ne t’écris qu’un mot, car je suis bien fatigué ; voilà bien des jours que je bivouaque. Mes enfants ont dignement célébré l’anniversaire de la bataille de Marengo. La bataille de Friedland sera aussi célèbre et est aussi glorieuse pour mon peuple. Toute l’armée russe mise en route, 80 pièces de canon, 30 000 hommes pris ou tués, 25 généraux russes tués, blessés ou pris, la garde russe écrasée ; c’est une digne sœur de Marengo, Austerlitz, Iéna. Le bulletin te dira le reste. Ma perte n’est pas considérable ; j’ai manœuvré l’ennemi avec succès. Sois sans inquiétude et contente. Adieu, mon amie, je monte à cheval.


C

Le 15 juin 1807.

Mon amie, je t’ai expédié hier Moustache[58] avec la nouvelle de la bataille de Friedland. Depuis, j’ai continué à poursuivre l’ennemi. Kœnigsberg, qui est une ville de 80 000 âmes, est en mon pouvoir. J’y ai bien trouvé des canons, beaucoup de magasins et enfin plus de 60 000 fusils venant d’Angleterre. Adieu, mon amie, ma santé est parfaite, quoique je sois enrhumé par la pluie et le froid du bivouac. Sois contente et gaie. Tout à toi.


CI

Tilsitt, le 19 juin 1807.

J’ai expédié Tascher près de toi pour calmer toutes tes inquiétudes. Tout va ici au mieux. La bataille de Friedland a décidé de tout. L’ennemi est confondu, abattu, extrêmement affaibli. Ma santé est bonne, et mon armée est superbe. Adieu, mon amie, sois gaie et contente.


CII

Tilsitt, le 20 juin 1807.

Mon amie, je viens de voir l’empereur Alexandre ; j’ai été fort content de lui ; c’est un fort beau, bon et jeune empereur ; il a de l’esprit plus qu’on ne le pense communément. Il vient loger en ville à Tilsitt demain[59]. Adieu, mon amie, je désire fort que tu te portes bien, et sois contente. Ma santé est fort bonne.


CIII

Tilsitt, le 3 juillet 1807.

Mon amie, M. de Turenne[60] te donnera tous les détails de ce qui se passe ici ; tout va fort bien. Je crois t’avoir dit que l’empereur de Russie porte ta santé avec beaucoup d’amabilité. Il dîne, ainsi que le roi de Prusse,[61] tous les jours chez moi. Je désire que tu sois contente. Adieu, mon amie, mille choses aimables.

CIV

Tilsitt, 6 juillet 1807.

J’ai reçu ta lettre du 25 juin. J’ai vu avec peine que tu étais égoïste, et que les succès de mes armes seraient pour toi sans attraits. La belle reine de Prusse doit venir dîner avec moi aujourd’hui. Je me porte bien, et désire beaucoup te revoir, quand le destin l’aura marqué. Cependant, il est possible que cela ne tarde pas.


CV

Tilsitt, 7 juillet 1807.

Mon amie, la reine de Prusse a dîné hier avec moi[62]. J’ai eu à me défendre de ce qu’elle voulait m’obliger à faire encore quelques concessions à son mari ; mais j’ai été galant, et je me suis tenu à ma politique. Elle est fort aimable. J’irai te donner des détails qu’il me serait impossible de te donner sans être bien long. Quand tu liras cette lettre, la paix avec la Prusse et la Russie sera conclue, et Jérôme reconnu roi de Westphalie avec trois millions de population. Ces nouvelles pour toi seule. Adieu, mon amie ; je t’aime et veux te savoir contente et gaie.


CVI

Dresde, le 18 juillet 1807.

Mon amie, je suis arrivé hier, à cinq heures du soir, à Dresde, fort bien portant, quoique je sois resté cent heures en voiture, sans sortir. Je suis ici chez le roi de Saxe, dont je suis fort content. Je suis donc rapproché de toi de plus de la moitié du chemin. Il se peut qu’une de ces belles nuits, je tombe à Saint-Cloud comme un jaloux, je t’en préviens. Adieu, mon amie ; j’aurai grand plaisir à te voir. Tout à toi.


CVII

Milan, le 25 novembre 1807.

Je suis ici, mon amie, depuis deux jours. Je suis bien aise de ne te pas avoir emmenée ; tu aurais horriblement souffert au passage du Mont-Cenis, où une tourmente m’a retenu vingt-quatre heures. J’ai trouvé Eugène bien portant ; je suis fort content de lui. La princesse est malade ; j’ai été la voir à Monza ; elle a fait une fausse-couche ; elle va mieux. Adieu, mon amie.


CVIII

Venise, le 30 novembre 1807.

Je reçois ta lettre du 22 novembre. Je suis à Venise depuis deux jours. Le temps est fort mauvais, ce qui ne m’a pas empêché de courir les lagunes, pour voir les différents forts. Je vois avec plaisir que tu t’amuses à Paris. Le roi de Bavière, avec sa famille, ainsi que la princesse Élisa[63] sont ici. Passé le 2  décembre, que je ferai ici, je serai sur mon retour et fort aise de te voir. Adieu, mon amie.


CIX

Udine, le 11 décembre 1807.

J’ai reçu, mon amie, ta lettre du 3 décembre, où je vois que tu as été fort contente du Jardin des Plantes. Me voilà au terme le plus éloigné de mon voyage ; il est possible que je sois bientôt à Paris, où je serai fort aise de te revoir. Le temps n’a pas encore été froid ici, mais très pluvieux. J’ai profité du dernier moment de la saison, car je suppose qu’à Noël l’hiver se fera enfin sentir. Adieu, mon amie. Tout à toi.


CX

Erfurt, le 29 septembre 1808.

Je suis un peu enrhumé. J’ai reçu ta lettre de Malmaison. Je suis fort satisfait ici de l’empereur[64] et de tout le monde. Il est une heure après minuit, et je suis fatigué. Adieu, mon amie, porte-toi bien.


CXI

Erfurt, le 9 octobre 1808.

J’ai reçu, mon amie, ta lettre. Je vois avec plaisir que tu te portes bien. Je viens de chasser sur le champ de bataille d’Iéna. Nous avons déjeuné dans l’endroit où j’avais passé la nuit au bivouac. J’ai assisté au bal de Weimar[65]. L’empereur Alexandre danse ; mais moi, non ; quarante ans sont quarante ans[66]. Ma santé est bonne au fond, malgré quelques petits maux. Adieu, mon amie. Tout à toi. J’espère te voir bientôt.


CXII

Erfurt, octobre 1808.

Mon amie, je t’écris peu, je suis fort occupé. Des conversations de journées entières, cela n’arrange pas mon rhume. Cependant tout va bien. Je suis content d’Alexandre, il doit l’être de moi. S’il était femme, je crois que j’en ferais mon amoureuse. Je serai chez toi dans peu ; porte-toi bien, et que je te trouve fraîche et grasse[67].


CXIII

Tolosa, le 5 novembre 1808.

Je suis à Tolosa ; je pars pour Vittoria, où je serai dans peu d’heures. Je me porte assez bien, et j’espère que tout cela sera bientôt fini[68].


CXIV

Burgos, le 14 novembre 1808.

Les affaires marchent ici avec une grande activité. Le temps est fort beau. Nous avons des succès. Ma santé est fort bonne.


CXV

26 novembre 1808.

J’ai reçu ta lettre. Je désire que ta santé soit aussi bonne que la mienne. Tout marche bien ici. Je pense que tu dois retourner aux Tuileries le 21 décembre, et, à dater de cette époque, donner un concert tous les huit jours.

CXVI

Madrid, 7 décembre 1808[69].

Je reçois ta lettre du 28. Je vois avec plaisir que tu te portes bien. Tu as su que le jeune Tascher se comporte bien ; cela m’a fait plaisir. Ma santé est bonne. Il fait ici le temps de la dernière quinzaine de mai à Paris. Nous avons chaud, et point de feu, si ce n’est la nuit, qui est assez fraîche. Madrid est tranquille. Toutes mes affaires vont bien. Adieu, mon amie. Tout à toi.


CXVII

Madrid, 10 décembre 1808.

Mon amie, je reçois ta lettre. Tu me dis qu’il fait mauvais à Paris ; il fait ici le plus beau temps du monde. Dis-moi, je te prie, ce que veulent dire les réformes que fait Hortense ; l’on dit qu’elle renvoie ses domestiques. Est-ce qu’on lui refuserait ce qui lui est nécessaire[70] ? Dis-moi un mot là-dessus ; les réformes ne sont pas convenables. Adieu, mon amie. Tout va fort bien, et je te prie de te bien porter.


CXVIII

Madrid, le 21 décembre 1808.

Tu dois être entrée aux Tuileries le 12. J’espère que tu auras été contente de tes appartements. J’ai autorisé la présentation à toi et à la famille de Kourakin[71] ; reçois-le bien, et fais-le jouer avec toi. Adieu, mon amie ; je me porte bien ; le temps est pluvieux ; il fait un peu froid.


CXIX

Madrid, le 22 décembre 1808.

Je pars à l’instant pour manœuvrer les Anglais, qui paraissent avoir reçu leur renfort, et vouloir faire les crânes. Le temps est beau, ma santé parfaite ; sois sans inquiétude.


CXX

Le 31 décembre 1808.

Mon amie, je suis à la poursuite des Anglais depuis quelques jours ; mais ils fuient épouvantés. Ils ont lâchement abandonné les débris de l’armée de la Romana, pour ne pas retarder leur retraite d’une demi-journée. Plus de cent chariots de bagages sont déjà pris. Le temps est bien mauvais. Lefèvre[72] a été pris ; il m’a fait une échauffourée avec 300 chasseurs : ces crânes ont passé une rivière à la nage, et ont été se jeter au milieu de la cavalerie anglaise ; ils ont beaucoup tué ; mais, au retour, Lefèvre a eu son cheval blessé ; il se noyait ; le courant l’a conduit sur la rive où étaient les Anglais ; il a été pris. Console sa femme. Adieu, mon amie. Bessières, avec dix mille chevaux, est sur Astorga. Bonne année à tout le monde.


CXXI

Le 3 janvier 1809.

Je reçois, mon amie, tes lettres du 18 et du 21. Je poursuis les Anglais l’épée dans les reins. Le temps est froid et rigoureux, mais tout va bien. Adieu, mon amie, tout à toi ! Bonne et bien bonne année à ma Joséphine.


CXXII

Bénavente, le 5 janvier 1809.

Mon amie, je t’écris un mot. Les Anglais sont dans une grande déroute. J’ai chargé le duc de [73] Dalmatie de les poursuivre l’épée dans les reins. Je me porte bien. Le temps est mauvais. Adieu, mon amie ;


CXXIII

Mansilla, le 8 janvier 1809.

Je reçois tes lettres du 23 et du 26. Je vois avec peine que tu souffres des dents. Je suis ici depuis deux jours. Le temps est comme la saison le comporte. Les Anglais s’embarquent. Je suis bien portant. Adieu, mon amie. J’écris à Hortense. Eugène a une fille[74]. Tout à toi.


CXXIV

Le 9 janvier 1809.

Moustache[75] m’apporte une lettre de toi, du 31 décembre. Je vois, mon amie, que tu as l’inquiétude noire. L’Autriche ne me fera pas la guerre. Si elle me la fait, j’ai 150 000 hommes en Allemagne, et autant sur le Rhin, et 400 000 Allemands pour lui répondre. La Russie ne se séparera pas de moi. On est fou à Paris ; tout marche bien. Je serai à Paris aussitôt que je le croirai utile. Je te conseille de prendre garde aux revenants ; un beau jour, à deux heures du matin…[76] Mais, adieu, mon amie ; je me porte bien, et suis tout à toi.


CXXV

Le 8 mai 1809.

Mon amie, j’ai reçu ta lettre. La balle qui m’a touché ne m’a pas blessé ; elle a à peine rasé le talon d’Achille[77]. Ma santé est fort bonne. Tu as tort de t’inquiéter. Mes affaires ici vont fort bien. Tout à toi.


CXXVI

Saint-Pœlten, le 9 mai 1809.

Mon amie, je t’écris de Saint-Pœlten. Demain, je serai devant Vienne. Ce sera juste un mois après le même jour où les Autrichiens ont passé l’Inn et violé la paix. Ma santé est fort bonne, le temps superbe, et le soldat fort gai ; il y a ici du vin. Porte-toi bien. Tout à toi.


CXXVII

Schœnbrunn, le 12 mai 1809.

Je t’expédie le frère de la duchesse de Montebello pour t’apprendre que je suis maître de Vienne, et que tout va ici parfaitement. Ma santé est fort bonne.


CXXVIII

Schœnbrunn, le 31 mai 1809.

La perte du duc de Montebello[78], qui est mort ce matin, m’a fort affligé. Ainsi tout finit !… Adieu, mon amie ; si tu peux contribuer à consoler la pauvre maréchale, fais-le. Tout à toi.


CXXIX

Schœnbrunn, le 16 juin 1809.

Je t’expédie un page pour t’annoncer que, le 14, anniversaire de Marengo, Eugène a gagné une bataille contre l’archiduc Jean et l’archiduc Palatin, à Raab, en Hongrie ; qu’il leur a pris trois mille hommes, plusieurs pièces de canon, quatre drapeaux, et les a poursuivis fort loin sur le chemin de Bude.


CXXX

Ebersdorf, le 7 juillet 1809 : cinq heures du matin.

Je t’expédie un page pour te donner la bonne nouvelle de la victoire d’Ebersdorf, que j’ai remportée le 5 et celle de Wagram, que j’ai remportée le 6. L’armée ennemie fuit en désordre, et tout marche selon mes vœux. Eugène se porte bien. Le prince Aldobrandini[79] est blessé, mais légèrement. Bessières a eu un boulet qui lui a touché le gras de la cuisse ; la blessure est très légère. Lasalle a été tué[80] ; mes pertes sont assez fortes ; mais la victoire est décisive et complète. Nous avons plus de cent pièces de canon, douze drapeaux, beaucoup de prisonniers. Je suis brûlé par le soleil. Adieu, mon amie, je t’embrasse. Bien des choses à Hortense.


CXXXI

Le 9 juillet 1809, à deux heures du matin.

Tout va ici selon mes désirs. Mes ennemis sont défaits, battus, tout à fait en déroute. Ils étaient très nombreux. Je les ai écrasés. Ma santé est bonne aujourd’hui. Hier, j’ai été un peu malade d’un débordement de bile, occasionné par tant de fatigues ; mais cela me fait grand bien. Adieu, mon amie, je me porte fort bien.


CXXXII

Au camp, devant Znaïm, le 13 juillet 1809.

Je t’envoie la suspension d’armes qui a été conclue hier avec le général autrichien. Eugène est du côté de la Hongrie et se porte bien. Envoie une copie de la suspension d’armes à Cambacérès[81], en cas qu’il ne l’ait pas déjà reçue. Je t’embrasse, et me porte fort bien.


CXXXIII

Le 24 juillet 1809.

Je reçois ta lettre du 18 juillet. Je vois avec plaisir que les eaux te font du bien. Je ne vois aucun inconvénient qu’à la fin de tes eaux tu ailles à la Malmaison. La chaleur est assez grande ici. Ma santé est fort bonne. Adieu, mon amie. Eugène est à Vienne, et très bien portant. Tout à toi.


CXXXIV

Schœnbrunn, le 7 août 1809.

Je vois par ta lettre que tu es à Plombières, et que tu comptes y rester ; tu fais bien ; les eaux et le beau climat ne peuvent que te faire du bien. Je reste ici. Ma santé et mes affaires vont selon mes souhaits. Je te prie de dire bien des choses aimables à Hortense et aux Napoléon. Tout à toi.


CXXXV

Schœnbrunn, le 21 août 1809.

J’ai reçu ta lettre du 14 août, de Plombières ; j’y vois que tu seras arrivée le 18 à Paris, ou à la Malmaison. Tu auras été malade de la chaleur, qui est bien grande ici. Malmaison doit être bien sec et brûlé par ce temps-là[82]. Ma santé est bonne. Je suis cependant un peu enrhumé de la chaleur. Adieu, mon amie.


CXXXVI

Schœnbrunn, le 26 août 1809.

Je reçois ta lettre de Malmaison. L’on m’a rendu compte que tu étais grasse, fraîche et bien portante. Je t’assure que Vienne n’est pas une ville amusante. Je voudrais fort être déjà à Paris. Adieu, mon amie. J’entends deux fois par semaine les Bouffons ; ils sont assez médiocres ; cela amuse les soirées. Il y a cinquante ou soixante femmes de Vienne, mais au parterre, comme n’ayant pas été présentées.


CXXXVII

Schœnbrunn, le 31 août 1809.

Je n’ai pas reçu de lettres de toi depuis plusieurs jours ; les plaisirs de Malmaison, les belles serres, les beaux jardins font oublier les absents ; c’est la règle, dit-on, chez vous autres. Tout le monde ne parle que de ta bonne santé, tout cela m’est fort sujet à caution. Je vais demain faire une absence de deux jours en Hongrie, avec Eugène. Adieu, mon amie. Tout à toi.


CXXXVIII

Kems, le 9 septembre 1809.

Mon amie, je suis ici depuis hier, à deux heures du matin ; j’y suis venu pour voir mes troupes. Ma santé n’a jamais été meilleure. Je sais que tu es bien portante. Je serai à Paris au moment où personne ne m’attendra plus. Tout va ici fort bien, et à ma satisfaction. Adieu, mon amie.


CXXXIX

Le 23 septembre 1809.

J’ai reçu ta lettre du 16 ; je vois que tu te portes bien. La maison de la vieille fille[83] ne vaut que 120 000 francs ; ils n’en trouveront jamais plus. Cependant, je te laisse maîtresse de faire ce que tu voudras, puisque cela t’amuse ; mais, une fois achetée, ne fais pas démolir pour y faire quelques rochers. Adieu, mon amie.


CXL

Le 25 septembre 1809.

J’ai reçu ta lettre. Ne te fie pas, et je te conseille de te bien garder la nuit ; car une des prochaines tu entendras grand bruit. Ma santé est fort bonne ; je ne sais ce que l’on débite ; je ne me suis jamais mieux porté depuis bien des années. Corvisart[84] ne m’était point utile. Adieu, mon amie ; tout va ici fort bien. Tout à toi.


CXLI

Nymphenbourg, près Munich, le 21 octobre 1809.

Je suis ici depuis hier bien portant ; je ne partirai pas encore demain. Je m’arrêterai un jour à Stuttgard. Tu seras prévenue vingt-quatre heures d’avance de mon arrivée à Fontainebleau. Je me fais une fête de te revoir, et j’attends ce moment avec impatience. Je t’embrasse. Tout à toi.


CXLII

Octobre 1809.

Mon amie, je t’écris pour t’apprendre que la paix a été signée, il y a deux heures, entre Champagny et le prince de Metternich. Adieu, mon amie.


CXLIII

Munich, octobre 1809.

Mon amie, je pars dans une heure. Je serai arrivé à Fontainebleau du 26 au 27 : tu peux t’y rendre avec quelques dames.


CXLIV

Trianon, 18 décembre 1809, huit heures du soir[85].

Mon amie, je t’ai trouvée aujourd’hui plus faible que tu ne devrais être. Tu as montré du courage ; il faut que tu en trouves pour te soutenir ; il ne faut pas te laisser aller à une funeste mélancolie ; il faut te trouver contente et surtout soigner ta santé, qui m’est si précieuse. Si tu m’es attachée et si tu m’aimes, tu dois te comporter avec force et te placer heureuse. Tu ne peux pas mettre en doute ma constante et tendre amitié, et tu connaîtrais bien mal tous les sentiments que je te porte si tu supposais que je puisse être heureux si tu n’es pas heureuse et surtout si tu ne te tranquillises. Adieu, mon amie ; dors bien ; songe que je le veux.


CXLV

Mardi, à six heures. (Trianon, 19 décembre 1809.)

La reine de Naples[86], que j’ai vue à la chasse au bois de Boulogne, où j’ai forcé un cerf, m’a dit qu’elle t’avait laissée hier, à une heure de l’après-midi, bien portante. Je te prie de me dire ce que tu as fait aujourd’hui. Moi, je me porte fort bien. Hier, quand je t’ai vue, j’étais malade. Je pense que tu auras été te promener. Adieu, mon amie.


CXLVI

Mercredi, 7 heures du soir. (Trianon, 20 décembre 1809.)

Je reçois ta lettre, mon amie. Savary[87] me dit que tu pleures toujours. J’espère que tu auras pu te promener aujourd’hui. Je t’ai envoyé de ma chasse. Je viendrai te voir, lorsque tu me diras que tu es raisonnable et que ton courage prend le dessus. Demain, toute la journée, j’ai les ministres. Adieu, mon amie ; je suis triste aussi aujourd’hui ; j’ai besoin de te savoir satisfaite et d’apprendre que tu prends de l’aplomb. Dors bien.


CXLVII

Jeudi, à midi. (Trianon, le 21 décembre 1809.)

Je voulais venir te voir aujourd’hui, mon amie ; mais je suis très occupé et un peu indisposé. Je vais cependant aller au conseil[88]. Je te prie de me dire comment tu te portes. Ce temps est bien humide et pas du tout sain.


CXLVIII

Trianon, mardi 26 décembre 1809.

Je me suis couché hier après que tu as été partie[89], mon amie. Je vais à Paris. Je désire te savoir gaie. Je viendrai te voir dans la semaine. J’ai reçu tes lettres, que je vais lire en voiture.


CXLIX

Mercredi, à midi. (Paris, le 27 décembre 1809.)

Eugène m’a dit que tu avais été toute triste hier ; cela n’est pas bien, mon amie, c’est contraire à ce que tu m’avais promis. J’ai été fort ennuyé de revoir les Tuileries ; ce grand palais m’a paru vide, et je m’y suis trouvé isolé. Adieu, mon amie ; porte-toi bien.


CL

Paris, vendredi 29 décembre 1809.

Mon amie, je reçois ta lettre ; je vois avec peine que tu as été malade ; je crains que ce ne soit ce mauvais temps. Madame de la T… est une des plus folles du faubourg ; j’ai souffert fort longtemps son caquet ; je m’en suis ennuyé, et j’ai ordonné qu’elle ne revînt plus à Paris. Il y a cinq ou six autres vieilles femmes que je veux également renvoyer de Paris ; elles gâtent les jeunes par leurs sottises. Je nommerai madame de Mackau baronne, puisque tu le désires, et ferai tes autres commissions. Ma santé est assez bonne. La conduite de B… me paraît fort ridicule. Je désire te savoir bien portante. Adieu, mon amie.


CLI

Paris, le 31 décembre 1809.
(Dimanche, à dix heures du matin.)

J’ai aujourd’hui grande parade, mon amie ; je verrai toute ma vieille garde, et plus de soixante trains d’artillerie. Le roi de Westphalie[90] s’en va chez lui, ce qui pourra donner une maison vacante à Paris. Je suis triste de ne pas te voir. Si la parade finit avant trois heures, je viendrai ; sans cela, à demain. Adieu, mon amie.


CLII

Paris, le 4 janvier 1810, jeudi soir.

Hortense, que j’ai vue cette après-midi, m’a donné, mon amie, de tes nouvelles. J’espère que tu auras été voir aujourd’hui tes plantes, la journée ayant été belle. Je ne suis sorti qu’un instant à trois heures, pour tirer quelques lièvres[91]. Adieu, mon amie, dors bien.


CLIII

Vendredi, à huit heures. (Paris, le 5 janvier 1810.)

Je voulais venir te voir aujourd’hui ; mais je ne le puis ; ce sera, j’espère, pour demain. Il y a bien longtemps que tu ne m’as donné de tes nouvelles. J’ai appris avec plaisir que tu t’étais promenée dans ton jardin pendant ces froids. Adieu, mon amie, porte-toi bien, et ne doute jamais de mes sentiments.


CLIV

Le 7 janvier 1810.
(Dimanche, à huit heures du soir.)

J’ai été bien content de t’avoir vue hier ; je sens combien ta société a de charmes pour moi. J’ai travaillé aujourd’hui avec Estève. J’ai accordé 100 000 francs pour 1810, pour l’extraordinaire de la Malmaison. Tu peux donc faire planter tout ce que tu voudras ; tu distribueras cette somme comme tu l’entendras. J’ai chargé Estève de remettre 200 000 francs aussitôt que le contrat de la maison Julien sera fait. J’ai ordonné que l’on paierait ta parure de rubis, laquelle sera évaluée par l’intendance, car je ne veux pas de voleries de bijoutiers. Ainsi, voilà 400 000 francs que cela me coûte. J’ai ordonné que l’on tînt le million que la liste civile te doit, pour 1810, à la disposition de ton homme d’affaires, pour payer tes dettes. Tu dois trouver, dans l’armoire de la Malmaison, 5 à 600 000 francs ; tu peux les prendre pour faire ton argenterie et ton linge. J’ai ordonné qu’on te fît un très beau service de porcelaine ; on prendra tes ordres pour qu’il soit très beau.


CLV

Mardi, 9 janvier 1810. Midi.

Je serais venu te voir aujourd’hui, si je n’avais dû aller voir le roide Bavière[92], qui vient d’arriver à Paris. Je serai chez lui ce soir à huit heures, et de retour à dix. J’espère te voir demain, et te trouver gaie et d’aplomb. Adieu, mon amie.

CLVI

Le mercredi, 10 janvier 1810.

Mon amie, je ne vois pas d’inconvénient que tu reçoives le roi de Wurtemberg quand tu voudras. Le roi et la reine de Bavière doivent aller te voir après-demain. Je désire fort aller à la Malmaison ; mais il faut que tu sois forte et tranquille ; le page de ce matin dit qu’il t’a vue pleurer. Adieu, mon amie ; ne doute jamais de mes sentiments pour toi ; tu serais injuste et mauvaise.


CLVII

Paris, le 13 janvier 1810.
(Samedi, à une heure après-midi.)

Mon amie, j’ai vu hier Eugène qui m’a dit que tu recevrais les rois. J’ai été au concert jusqu’à huit heures ; je n’ai dîné, tout seul, qu’à cette heure-là. Je d6sire bien te voir. Si je ne viens pas aujourd’hui, je viendrai après la messe. Adieu, mon amie ; j’espère te trouver sage et bien portante. Ce temps-là doit bien te peser.


CLVIII

Le 17 janvier 1810.

Mon amie, d’Audenarde, que je t’ai envoyé ce matin, me dit que tu n’as plus de courage depuis que tu es à la Malmaison. Ce lieu est cependant tout plein de nos sentiments, qui ne peuvent et ne doivent jamais changer, du moins de mon côté. J’ai bien envie de te voir, mais il faut que je sois sûr que tu es forte, et non faible ; je le suis aussi un peu, et cela me fait un mal affreux. Adieu, Joséphine ; bonne nuit. Si tu doutais de moi, tu serais bien ingrate.


CLIX

Le 20 janvier 1810.

Je t’envoie, mon amie, la boîte que je t’avais promise avant-hier, et qui représente l’île de Lobau. J’ai été un peu fatigué hier. Je travaille beaucoup et ne sors pas. Adieu, mon amie.


CLX

Le 30 janvier 1810.

Mon amie, je reçois ta lettre. J’espère que la promenade que tu as faite aujourd’hui pour montrer ta serre, t’aura fait du bien. Je te saurai avec plaisir à l’Élysée, et fort heureux de te voir plus souvent, car tu sais combien je t’aime.


CLXI

Mardi, midi, 30 janvier 1810.

J’apprends que tu t’affliges, cela n’est pas bien. Tu es sans confiance en moi, et tous les bruits que l’on répand te frappent ; ce n’est pas me connaître, Joséphine. Je t’en veux, et si je n’apprends que tu es gaie et contente, j’irai te gronder bien fort. Adieu, mon amie.


CLXII

Le 3 février 1810.

J’ai dit à Eugène que tu aimais plutôt à écouter les bavards d’une grande ville que ce que je te disais ; qu’il ne faut pas que l’on te fasse des contes en l’air pour t’affliger. J’ai fait transporter tes effets à l’Élysée. Tu viendras incessamment à Paris ; mais sois tranquille et contente, et aie confiance entière en moi.


CLXIII

Le 19 février 1810.

Mon amie, j’ai reçu ta lettre. Je désire te voir ; mais les réflexions que tu fais sont peut-être vraies. Il y a peut-être quelque inconvénient à nous trouver sous le même toit pendant la première année. Cependant la campagne de Bessières est trop loin pour pouvoir revenir ; d’un autre côté je suis un peu

  1. Marie-Josèphe-Rose de Tascher de la Pagerie, dite Joséphine, née aux Trois-Ilets, île de la Martinique, le 23 juin 1763, fille de Joseph-Gaspard de Tascher de la Pagerie, écuyer, chevalier de Saint-Louis, capitaine de dragons, et de Rose-Claire des Vergers de Sanois. Mariée le 13 décembre 1779 au vicomte Alexandre de Beauharnais, baron de Banville, capitaine au régiment de la Sarre, plus tard général et député républicain. Veuve de Beauharnais, exécuté le 24 juillet 1794 (5 thermidor an II), elle avait été emprisonnée elle-même du 20 avril au 1er août 1794 (14 thermidor). Dès lors, elle devint l’une des femmes les plus en vue de la société parisienne. Mariée au général de division Bonaparte, commandant en chef de l’armée d’Italie puis premier Consul de la République, le 9 mars 1796, elle fut impératrice des Français en 1804 et reine d’Italie en 1805. Divorcée en 1809, elle mourut au château de la Malmaison le 29 mai 1814. Joséphine est inhumée dans l’église de Rueil (Seine-et-Oise).
  2. Les Lettres à Joséphine (1795-1812) ont été publiées par la reine Hortense en 1823 (2 vol. Pulot, éditeur.)
  3. Joseph Bonaparte.
  4. Andoche Junot, duc d’Abrantès, né en 1771 à Bussy-le-Grand, près Semur ; étudiant en droit en 1789 ; engagé volontaire au 1er bataillon de la Côte-d’Or en 1791 ; sergent au siège de Toulon en 1793 ; passé dans l’artillerie, lieutenant, aide-de camp du général Bonaparte, général de division en 1800, Gouverneur de Paris, Commandant du corps de réserve des grenadiers ; Colonel-général des hussards, Grand-Aigle de la Légion d’Honneur en 1805, ambassadeur à Lisbonne en 1806, puis Gouverneur des provinces Illyriennes. Mort fou le 29 juillet 1813.
    Sa veuve, la duchesse Laure d’Abrantès, fut l’amie de Victor Hugo, de Delacroix, de Théophile Gautier, et nous a laissé de curieux Mémoires sur cette éblouissante époque.
  5. Les apparences de grossesse, dont parle Bonaparte dans cette lettre, n’eurent, on le sait, aucune suite, malheureusement pour Joséphine.
    Arnault, qui a connu les deux époux, prétend dans ses Mémoires que madame Bonaparte ne se décida qu’avec une extrême répugnance à rejoindre son mari en Italie. « Pensant plus, dit Arnault, à ce qu’elle allait quitter qu’à ce qu’elle allait trouver, elle aurait donné le palais préparé à Milan pour la recevoir, elle aurait donné tous les palais du monde pour sa petite maison de la rue Chantereine…»
    Le passeport délivré par les Directeurs à madame Bonaparte était daté du 24 juin 1796.
  6. À cette date, Joséphine était à Milan ; et son mari se disposait à emporter Mantoue avant l’arrivée de l’armée de Wurmser.
  7. Kilmaine, né en 1754, d’origine irlandaise, général de brigade, employé à l’armée d’Italie en 1795, général de division en 1796, commandant de la Lombardie, général en chef par intérim en 1799. Mort en 1799. Stratège de premier ordre.
  8. André Masséna, duc de Rivoli, prince d’Essling, né à Levens, près Nice, en 1758, fils d’un aubergiste. D’abord mousse, puis engagé volontaire au régiment Royal-Italien, sous-officier en 1789, il devint adjudant-major au 3e bataillon du Var, général de brigade en 1792 et général de division en 1793. Maréchal de l’Empire en 1804, Grand-Aigle de la Légion d’Honneur, Commandeur de Saint-Louis en 1814, participa aux Cent-Jours. Mort à Paris le 4 avril 1817. Inhumé au Père-Lachaise.
  9. Brune, né en 1763, général de division, vainqueur des Anglo-Russes à Bergen en 1799, général en chef, Maréchal de l’Empire, Grand-Aigle de la Légion d’Honneur en 1804. Assassiné à Avignon par la réaction blanche en 1815. Le seul des maréchaux de Napoléon qui n’ait point porté de titre nobiliaire.
  10. L’admirable chaleur amoureuse, les grands sentiments, l’emportement fougueux et passionné, qui règnent dans cette lettre d’un jeune mari de vingt-sept ans, en font une des plus curieuses du recueil. Walter Scott a dit avec raison : « On y trouve le caractère d’un homme aussi ardent en amour qu’à la guerre. Le langage du vainqueur qui disposait des États selon son bon plaisir, et battait les plus célèbres généraux du temps, est aussi enthousiaste que celui d’un berger arcadien. »
  11. Fortuné était le chien de madame Bonaparte. Napoléon semble avoir détesté cordialement ce carlin. Voyez à ce sujet les Mémoires d’Arnault. Un jour, au château de Montebello, Fortuné était sur le même canapé que sa maîtresse.
    « Vous voyez bien ce monsieur-là, » dit Bonaparte interpellant Arnault et lui montrant du doigt le chien, « vous voyez bien ce monsieur-là ; c’est mon rival. Il était en possession du lit de madame, quand je l’épousai. Je voulus l’en faire sortir ; prétention inutile ; on me déclara qu’il fallait me résoudre à coucher ailleurs, ou consentir au partage. Cela me

    contrariait assez, mais c’était à prendre ou à laisser. Je me résignai. Le favori fut moins accommodant que moi ; j’en porte la preuve à cette jambe. »

    Fortuné, personnage hargneux, fut étranglé, la même année,

    par le chien du cuisinier de Bonaparte.

  12. Eugène de Beauharnais allait être nommé sous-lieutenant aux guides. Il passa lieutenant eu 1797 et capitaine en Égypte.
  13. Michelet confirme ce curieux détail.
  14. Joachim Murat, fils d’un aubergiste, né dans le Lot en 1771. Engagé volontaire, sous-officier de cavalerie en 1789, capitaine, chef d’escadron au 21e régiment de chasseurs, prit part au 13 vendémiaire. Aide de camp du général Bonaparte en 1796, colonel de cavalerie, général de brigade en 1797, général de division avant le 18 brumaire, il épousa Caroline Bonaparte en 1800. Maréchal de l’Empire en 1804, Grand-Aigle de la Légion d’Honneur, roi de Naples et des Deux-Siciles en 1808, Lieutenant de l’Empereur, Grand-Amiral de l’Empire, il était grand-duc de Berg avant de régner. Commandant en chef de la cavalerie française. Rentré à Naples en 1813, chassé de son trône en 1815, il fut pris en tentant de pénétrer dans ses États et fusillé.
  15. Les soupçons reparaissent, aussi peu fondés que par le passé, d’ailleurs ; — et malgré Murat.
  16. Les naturalistes en penseront ce qu’ils voudront, mais l’expression est belle et singulièrement éloquente.
  17. Ou a pu remarquer que Bonaparte n’est étranger, dans ses lettres d’amour, à aucun des artifices de la ponctuation française.
  18. La veille, le général en chef Bonaparte avait échoué dans sa tentative contre les troupes d’Alvinzy, à Caldiéro. Les Autrichiens se flattaient de reprendre Vérone. La situation de l’armée d’Italie était critique. C’est ce moment, périlleux entre tous, que Bonaparte choisit pour faire des reproches à Joséphine. Singulière nature que celle des hommes qui peuvent ainsi se dédoubler dans les moindres actes de leur vie !
  19. « Mot charmant, » dit le plus acharné des détracteurs de Napoléon, « qui montre bien le bouillonnement des idées dont son âme est pleine. » (Iung, Bonaparte et son temps, tome III.)
  20. Pendant que Bonaparte se lamentait ainsi, sa femme se trouvait à Gênes, où l’avait invitée la ville. Le vendredi, on donna un bal en son honneur, au grand scandale du parti catholique et royaliste.
  21. Alexandre Berthier, prince de Neufchâtel, prince de Wagram, duc de Valengin, né en 1753, colonel, major-général de la garde nationale de Versailles en 1789, chef d’état-major sous le général Lückner, général de division en 1792, chef d’état-major de l’armée d’Italie en 1796, puis ministre. Major-général de l’armée, Maréchal de France en 1804, Colonel-général des Suisses, Grand-veneur, Grand-Aigle de la Légion d’Honneur, Vice-Connétable de l’Empire, il fut, en 1814, l’un des premiers à reconnaître Louis XVIII. Assassiné en juin 1815 à Bamberg.
  22. La paix avec le Saint-Siège fut conclue trois jours après, à Tolentino, le 19 février.
  23. La femme du Premier Consul se trouvait alors aux eaux de Plombières, le Vichy du temps.
  24. Michel Ney, duc d’Elchingen, prince de la Moskowa, né à Sarrelouis en 1769, fils d’un tonnelier. Engagé volontaire, sous-officier en 1789, lieutenant au 5e hussards, capitaine au 4e hussards, puis adjudant-chef de bataillon, général de brigade en 1796. Général de division en 1799, Maréchal de l’Empire en 1804, Grand-Aigle de la Légion d’Honneur, il se distingua partout et gagna le surnom de Brave des braves. Sa conduite en Russie en 1812 fut héroïque. Pair de France sous Louis XVIII en 1814, il se rendit auprès de l’empereur pendant les Cent-Jours, combattit à Waterloo, fut condamné à mort par la Chambre des Pairs et fusillé le 7 décembre 1815.
  25. Voyez sur la comédie à la Malmaison les Mémoires de la générale Durand et le livre de M. Alfred Copin : Talma et l’empire (1887).
  26. L’empire est fait, et huit ans de mariage ont calmé les ardeurs épistolaires de Napoléon. Il n’écrit plus à Joséphine que des lettres courtes, précises, où règne, il est vrai, un grand ton d’amabilité, mais qui forment un contraste saisissant avec celles du jeune général en chef de 1796. Joséphine, comme l’a dit excellemment M. Imbert de Saint-Amand, avait trop de tact et de prudence pour s’en plaindre.
  27. Les eaux d’Aix-la-Chapelle, où se trouvait l’impératrice.
  28. Napoléon avait pris, la veille même, 1er octobre, le commandement de la Grande Armée pour accomplir l’admirable campagne de 1805.
  29. Quand on étudie la vie et les œuvres de ce prodigieux mortel qui se nomme Napoléon, on est surpris et confondu par la place énorme qu’y tiennent l’instinct, le fatalisme, la confiance en la Fortune. Dès le début de la campagne de Moravie, il devine du premier coup l’état moral de l’armée autrichienne. Les combinaisons incohérentes des généraux de l’empereur François lui répondent de l’avenir. En effet, le 14 octobre, Ney force le pont d’Elchingen, le 17 Ulm capitule, et le 13 novembre, — un mois après la lettre de Napoléon à Joséphine, — Murat entre à Vienne. L’empereur a été prophète. En ce temps-là, il fallait entendre madame de Rémusat. « … Quelle belle victoire ! (écrit-elle le 14 octobre à son mari). « Qu’on est fier d’être Français ! Je n’en ai pas dormi de joie… »
  30. Charles-Maurice de Talleyrand-Périgord, né en 1754 ; ordonné prêtre ; évêque d’Autun en 1788 ; célébra le 14 juillet 1790 la messe de la Fédération ; décrété d’accusation en 1192, émigré ; autorisé à rentrer en France en 1795. Nommé ministre des relations extérieures en juillet 1797, grâce à la protection de madame de Staël, il démissionna le 4 septembre 1799 et revint aux affaires après le 18 brumaire. Le 10 septembre 1802, il se maria au 10e arrondissement de Paris avec mademoiselle Worlée. Grand-dignitaire, Vice-grand-électeur de l’empire, créé prince de Bénévent en 1806, il trahit Napoléon à partir d’Erfurt, et quitta le ministère pour n’y rentrer qu’à la Restauration. Mort à Paris en 1838. Sa cervelle fut jetée à l’égout.
  31. Hugues Maret, duc de Bassano, né à Dijon en 1763. Secrétaire d’État en 1804, ministre en 1811, exilé en 1815, ministre après 1830. Mort en 1839. Publiciste de talent.
  32. Les dames d’honneur et les dames du palais avec lesquelles l’empereur aimait à plaisanter. Voyez les Mémoires de la générale Durand. (Calmann Lévy, édit.)
  33. Jean Lemarrois, comte de l’Empire, né en 1776 ; élève à l’école de Mars, sorti lieutenant, passé dans l’artillerie, capitaine en 1796, aide-de-camp du général Bonaparte, à qui il servit de témoin au moment de son mariage. Grand-officier de la Légion d’Honneur, général de division, aide de-camp de l’empereur, gouverneur de Magdebourg en 1813. Mort en 1836.
  34. C’est la corbeille dont il a déjà parlé dans la lettre du 5 octobre, la XXXVIIe de notre édition.
  35. Charles Lebrun, duc de Plaisance, aide-de-camp de l’empereur, général de brigade en 1810, général de division en 1813.
  36. Ce billet, qui est un petit chef-d’œuvre d’ironie aimable, est la preuve que non seulement l’empereur était un homme d’esprit, mais encore que le badinage ne lui déplaisait pas. Voyez la lettre d’Ostende (14 août 1804) où il fait allusion à Hortense et au Congo.
  37. À peu près à la même date, madame la comtesse de Rémusat, première dame du palais, écrivait à son mari, chambellan de Napoléon, la très curieuse épître que voici :
    « Vous ne pouvez vous figurer à quel point les têtes sont montées. Tout retentit des louanges de l’empereur ; les personnes que nous avons vues les plus opposées sont obligées de lui rendre les armes, et disent avec l’empereur de Russie : C’est un prédestiné ! » Avant-hier, aux spectacles, j’ai accompagné la princesse Louis pour assister aux différentes lectures des bulletins qui s’y sont faites. Les salles étaient pleines, parce que le canon avait annoncé, le matin, quelque chose de nouveau, et tout a été écouté et senti, et applaudi avec des cris dont je n’avais point d’idée. Je pleurais de toutes mes forces pendant ce temps. Je me sentais si émue que je crois que si l’empereur s’était présenté dans ce moment, je me serais jetée à son cou, quitte à lui en demander après pardon à ses pieds. »
    (Lettre du 18 décembre 1805.)
  38. Allusion aux différends conjugaux du roi Louis et de la reine Hortense.
  39. Le prince de Bade. Sa femme était une Beauharnais.
  40. Louise-Auguste-Willelmine-Amélie de Mecklembourg-Strélitz, femme de Frédéric-Guillaume III, née le 10 mars 1776, morte le 19 juillet 1810. Mère de l’empereur actuel d’Allemagne. C’était une des plus belles femmes de son temps et des plus spirituelles. Elle suivait l’armée sur les champs de bataille, et faillit tomber à Iéna entre les mains des hussards français.
  41. Napoléon, fils aîné de la reine Hortense, et probablement celui de ses deux neveux que l’empereur comptait adopter.
  42. L’empereur avait fait son entrée solennelle à Berlin quatre jours avant, le 27 octobre.
  43. Joséphine se plaignait des railleries que Napoléon avait prodiguées à la reine de Prusse dans le bulletin d’Iéna.
  44. M. de Hatzfeld (prince prussien) avait été conservé par Napoléon comme gouverneur civil de Berlin. Une lettre adressée par lui au général Hohenlohe, et interceptée aux avant-postes, prouva qu’il instruisait l’ennemi des mouvements de nos troupes. Sa femme était fille du ministre Schulembourg. Au reste, ce n’est pas là le seul exemple de la générosité native de l’empereur Napoléon.
  45. Ce voyage à Berlin ne s’accomplit jamais, par suite des dispositions toutes particulières dans lesquelles se trouvait l’empereur.
  46. La Fontaine.
  47. À Biezun, le 23 décembre ; à Nasielsk et à Cursomb, le 24 ; à Pultusk, le 25.
  48. Il n’allait pas tarder à les partager avec la belle madame W……ka, femme d’un grand seigneur polonais, qu’on lui avait présentée le 2 janvier, à Varsovie.
  49. Tascher de la Pagerie, cousin de l’impératrice Joséphine ; sous-lieutenant au 4e de ligne, lieutenant en 1806, officier d’ordonnance de l’empereur après Eylau, envoyé en 1808 à l’armée d’Espagne, où il se distingua, capitaine, puis chef de bataillon d’état-major en 1809, il fut ensuite aide de camp du prince Eugène. Mort général de division et grand-maître de la maison de l’impératrice Eugénie. On doit à sa fille, la spirituelle comtesse Stéphanie Tascher de la Pagerie, de curieux Mémoires (encore inédits) sur la cour de Napoléon III.
  50. Corbineau l’aîné, baron de l’Empire, aide de camp de l’empereur, général de brigade.
  51. C’est à Eylau, comme le dit fort bien Sainte-Beuve, dans ses Causeries du Lundi, que Napoléon reçut le premier avertissement du destin. Cette bataille fut terrible. On sait qu’en présence des morts et des blessés, l’empereur s’écria : « Ce spectacle est fait pour inspirer aux princes l’amour de la paix et l’horreur de la guerre. » 500 bouches à feu avaient tonné. Les pertes russes s’élevaient à 32 000 hommes. Un seul fait donnera une idée du carnage. Le capitaine Louis Hugo (oncle de Victor Hugo, — général de brigade en 1833) commandait, dans le cimetière d’Eylau, une compagnie du 55e de ligne qui perdit 81 hommes sur 85. Voyez la belle pièce de vers : Le Cimetière d’Eylau, de Victor Hugo, et l’Histoire de Napoléon par Abel Hugo. (Perrotin, édit. 1833.)
  52. Quelques racontars de cour avaient malheureusement appris à Joséphine les infidélités de Napoléon. Aussi l’empereur va-t-il au devant des plaintes de l’épouse trompée.
  53. Finkenstein, en Pologne, château appartenant à l’un des dignitaires de la cour de Prusse. Madame W…… ne tarda pas à y rejoindre Napoléon. Voyez les Mémoires de Constant, valet de chambre de l’empereur, pour tout ce qui concerne ces mystérieuses amours du vainqueur d’Iéna. Voyez aussi les souvenirs de la Générale Durand. (1886.)
  54. Bessières, duc d’Istrie. Né en 1768, dans le Lot, était perruquier en 1789. Engagé volontaire, officier du train d’artillerie, capitaine de chasseurs, chef d’escadron aux guides en 1796, Commandant de la garde consulaire, général de division en 1799, il fut fait maréchal de l’empire et Grand-Aigle en 1804. Tué à Poserna, le 1er mai 1813.
  55. Le petit Napoléon était, comme on l’a vu plus haut, le fils aîné de la reine Hortense.
  56. Ou Lacken (V. Almanach Impérial), palais impérial, près Bruxelles. Le général Suchet en était le gouverneur.
  57. Dissipée, expression familière à Napoléon, et qui équivaut à distraite, amusée.
  58. Ce nom invraisemblable est celui d’un des courriers du cabinet de l’empereur. Il avait été brigadier aux guides d’Italie et d’Égypte. Voyez d’amusants détails sur lui dans les Mémoires de madame Marco de Saint-Hilaire.
  59. L’entrevue des deux empereurs avait eu lieu le même jour, sur le Niémen. Napoléon était accompagné de Murat, Berthier, Bessières, Duroc et Caulaincourt. Voyez le Mémorial de Sainte-Hélène.
  60. Le comte de Turenne, chambellan de l’empereur.
  61. Frédéric-Guillaume III fit une piteuse figure à l’entrevue de Tilsitt, et regretta plus d’une fois d’avoir appelé la Russie à son aide. L’armée française fut frappée de son humble attitude auprès des deux empereurs. Un de nos meilleurs anecdotiers militaires, peut-être même le premier de tous, le grenadier Jean-Roch Coignet, plus tard capitaine, se moque pittoresquement du roi de Prusse : « Heureusement que le grand Alexandre était là pour prendre sa défense, il avait l’air d’une victime. Dieu, qu’il était maigre, le vilain souverain ! » (Les Cahiers dit capitaine Coignet, Hachette, 1883.)
  62. Coignet était de faction à la porte de la maison de Napoléon, au moment même où l’empereur alla recevoir la belle reine Louise de Prusse. Il va nous conter, avec sa verve ordinaire, quelle impression lui produisit la gracieuse souveraine. Rien d’éloquent comme un homme du peuple, quand il voit juste et sent vivement. Écoutons-le : « Elle arriva à dix heures du soir. Dieu, qu’elle était belle avec son turban autour de la tête ! On pouvait dire que c’était une belle reine pour un vilain roi, mais je crois qu’elle était roi et reine en même temps. L’Empereur vint la recevoir au bas du grand perron et lui présenta la main, mais elle ne put le faire plier. J’eus le bonheur de me trouver le soir de faction au pied du perron pour la voir de près, et, le lendemain à midi, je me trouvais à mon même poste ; je la contemplai. Quelle belle figure, avec un port de reine ! À trente-trois ans, j’aurais donné une de mes oreilles pour rester avec elle aussi longtemps que l’Empereur. » (Les Cahiers du capitaine Coignet, pages 218-219.)
  63. Marie-Anne Bonaparte, dite Élisa, l’aînée des sœurs de Napoléon, née à Ajaccio le 3 janvier 1777. Élevée à Saint-Cyr, dans la maison royale de Saint-Louis, elle épousa à Marseille, le 1er mai 1791, un ancien officier de marine, Félix Bacciochi, qui devint prince de Lucques et de Piombino. Napoléon la fit grande-duchesse de Toscane, avec gouvernement-général de ce pays. Morte à San-Andréa le 7 août 1820. Inhumée à Trieste.
  64. Le czar Alexandre. La fameuse entrevue d’Erfurt dura du 27 septembre au 14 octobre 1808.
  65. Napoléon fit la connaissance à ce bal de deux glorieux écrivains allemands, Goëthe et Wieland, tous deux conseillers intimes du duc de Weimar. Il leur décerna le lendemain la croix de la Légion d’Honneur.
  66. Il avait exactement trente-neuf ans et deux mois.
  67. Erfurt avait été le point de mire de toute l’Europe. Il s’y trouvait, à la suite des empereurs Napoléon et Alexandre : quatre rois, une reine, deux princes, un grand-duc et cinq ducs. Sans compter le menu fretin. Talma jouait Œdipe devant tout ce monde.
  68. Napoléon quitta Paris le 29 octobre pour aller commander l’armée d’Espagne.
  69. La victoire de Somo-Sierra avait ouvert à Napoléon les portes de Madrid. La ville se soumit le 5 décembre 1808, et l’empereur y entra solennellement le lendemain.
  70. Comme on devine bien que l’empereur serait ravi d’avoir à tancer de nouveau le roi Louis !
  71. Ambassadeur de l’empereur de Russie en France, prince.
  72. Lefèvre-Desnouettes, colonel de cavalerie, général de division, comte de l’Empire, né en 1773. Condamné à mort par contumace pour avoir participé aux Cent-Jours. Mort en 1822.
  73. Soult, duc de Dalmatie, né en 1769 ; engagé volontaire, sous-officier en 1789, général de brigade en 1798, général de division à l’armée d’Italie (1800). Maréchal de l’empire, Grand Aigle en 1805, prit une part glorieuse aux campagnes d’Espagne et de France, 1813-1814. Major-général de Napoléon à Waterloo. Ministre de la guerre sous Louis-Philippe, notamment en 1848. Mort en 1851.
  74. Hortense-Eugénie Napoléon, née le 23 décembre 1808.
  75. S’il faut en croire Mérimée, les ouvriers parisiens avaient donné ce surnom à Napoléon III dans les premières années du second empire. Le vrai Moustache était courrier du cabinet.
  76. Son retour aux Tuileries, après la campagne de Russie, s’effectua de cette façon. Il eut beaucoup de mal à se faire reconnaître.
  77. C’est la blessure de Ratisbonne. Voyez, sur les dangers courus par Napoléon en campagne, le Mémorial et le livre d’O’Méara : Napoléon dans l’exil.
  78. Lannes, duc de Montebello, né à Lectoure en 1769, ouvrier teinturier, puis terrassier. Volontaire en 1792, général de brigade en 1797, il se distingua en Italie, fut nommé général de division en 1799, gagna la victoire de Montebello. Maréchal de l’empire en 1804, Grand-Aigle de la Légion d’Honneur en 1805, on peut dire qu’il fut, avec Duroc et Bertrand, l’un des rares amis particuliers de Napoléon. « Ce grand homme, dit Coignet, était le seul qui tutoyât notre empereur. » Atteint mortellement d’un boulet qui lui emporta les deux jambes, sur le champ de bataille d’Essling, le héros mourut, quelques jours après, le 31 mai 1809. Son fils a été ministre sous le second Empire ; et l’un de ses petits-fils, le comte Gustave de Montebello, est actuellement ambassadeur à Constantinople.
  79. Le prince Aldobrandini de Borghèse, colonel du 4e régiment de cuirassiers. Parent de Pauline Bonaparte.
  80. Lasalle, le premier général de la cavalerie française après Murat, le type accompli du soldat. Colonel de chasseurs, général de brigade en Italie, général de division, né en 1775, tué à Wagram le 6 juillet 1809. Écrivain à ses heures, il a rimé quelques chansons de corps-de-garde.
  81. Cambacérès, duc de Parme. Né à Fréjus en 1753, il entra dans les assemblées républicaines, grâce à sa haute capacité de jurisconsulte. Appuya Bonaparte au 18 brumaire, et fut nommé en 1799 second consul de la République. Prince, Archichancelier de l’Empire en 1804, Grand-Aigle de la Légion d’Honneur, président du Sénat, il est mort en 1824. Gourmet célèbre. Son frère fut archevêque de Rouen et cardinal.
  82. Le château de la Malmaison, près Rueil (Seine-et-Oise), déclaré bien national en 1792, fut acheté par M. Lecouteux de Canteleu, depuis sénateur, et revendu à Joséphine en 1798. Napoléon s’intéressa toujours à cette résidence agréable.
  83. Boispréau, maison appartenant à mademoiselle Julien, leur voisine de la Malmaison.
  84. Le baron de Corvisart, premier médecin de l’empereur né en 1755, mort en 1821.
  85. Le divorce du couple impérial était prononcé depuis le 16.
  86. Marie-Annonciade Bonaparte, dite Caroline, la plus jeune sœur de Napoléon, née à Ajaccio le 25 mars 1782, mariée au général Joachim Murat, à Plailly (Oise) le 20 janvier 1800, reine de Naples et des Deux-Siciles en 1808. Détrônée et veuve en 1815. Morte à Florence le 18 mai 1839. Inhumée au Campo-Santo de Bologne.
  87. Savary, duc de Rovigo, Colonel des gendarmes d’élite, général de division, ministre de la police. Né en 1774, mort en 1833.
  88. À cette date, le ministère français était ainsi composé : — Grand Juge, ministre de la Justice, Régnier, duc de Massa ; — Finances, Gaudin, duc de Gaëte ; — Secrétariat d’État, Maret, duc de Bassano ; — Marine et Colonies, vice-amiral comte Decrès ; — Relations extérieures, Champagny, duc de Cadore ; — Trésor public, comte Mollien ; — Guerre, général Clarke, duc de Feltre ; — Cultes, comte Bigot de Préameneu ; — Intérieur, comte de Montalivet ; — Administration de la Guerre, général comte de Cessac ; — Police générale, Fouché, duc d’Otrante.
  89. Joséphine et Napoléon prirent leur dernier repas commun, au Grand-Trianon, le lundi 25 décembre 1809.
  90. Jérôme Bonaparte.
  91. Voyez, sur les goûts cynégétiques de Napoléon, les Mémoires de la générale Durand et les amusants Cahiers du capitaine Coignet.
  92. Maximilien-Joseph, né en 1756, ancien électeur, roi en 1806.
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