Le procès de Laurent Gbagbo révèle les failles de la juridiction
Soupçons sur la Cour pénale internationale
Le 21 mars 2016, la Cour pénale internationale a déclaré l’ancien vice-président congolais Jean‑Pierre Bemba coupable de crimes contre l’humanité et de crimes de guerre en Centrafrique. Mais c’est seulement son quatrième jugement en quatorze ans. Et les péripéties du procès de l’ex-président ivoirien Laurent Gbagbo, ouvert au début de l’année, entament son crédit déjà fragile.
En ce 28 janvier 2016, la Cour pénale internationale (CPI) lève le rideau sur une nouvelle pièce de son répertoire : le procès de M. Laurent Gbagbo débute à La Haye. L’ancien président ivoirien est accusé de crimes contre l’humanité commis lors de la crise postélectorale de 2010-2011. Il comparaît avec son ancien ministre de la jeunesse Charles Blé Goudé. Trois mille personnes auraient péri durant les événements. Pour la CPI, il s’agit d’une « affaire d’envergure » : M. Gbagbo est le premier ex-chef d’Etat à comparaître devant elle.
Cependant, lors de la troisième journée d’audience, les avocats ne se livrent pas à la traditionnelle défense de leur client. Bien au contraire : ils accusent. Ils reprochent à la CPI de mener une procédure partiale et de vouloir protéger coûte que coûte un secret de Polichinelle : lors de la crise postélectorale, des crimes ont également été commis par les forces de M. Alassane Ouattara, alors adversaire de M. Gbagbo et actuel président de la Côte d’Ivoire. Or la procureure, la Gambienne Fatou Bensouda, n’a rien fait pour éclairer cette partie des événements. Elle s’est exclusivement consacrée à M. Gbagbo, poursuivi pour quatre chefs d’accusation : la répression de la marche pacifique du 16 décembre 2010 devant le bâtiment de la Radiodiffusion-télévision ivoirienne (RTI), l’attaque lancée contre la manifestation des femmes dans le nord d’Abidjan le 3 mars 2011, le bombardement du marché d’Abobo le 17 mars 2011 et les violences commises par ses partisans dans le quartier de Yopougon à Abidjan le 12 avril 2011.
Après quatorze ans d’existence, la CPI fait figure d’accusée principale dans ce procès. La procédure lancée contre l’ancien président ivoirien agit comme un miroir grossissant des failles d’une juridiction qui, à sa naissance, avait pourtant suscité de grands espoirs. Sera-t-elle le tombeau d’un rêve séculaire : en finir avec l’impunité des autorités politiques et militaires jusqu’au sommet des Etats ?
Complémentaire des juridictions nationales, la CPI (...)
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Francesca Maria Benvenuto
Avocate au barreau de Paris, docteure en procédure pénale comparée et droit international pénal.
(2) Stéphanie Maupas, « Laurent Gbagbo, un procès crucial pour la CPI », Le Monde, 28 janvier 2016.
(3) Lire « La Cour pénale internationale en accusation », Le Monde diplomatique, novembre 2013.
(4) « Côte d’Ivoire : la loi des vainqueurs. La situation des droits humains deux ans après la crise postélectorale », Amnesty International, 26 février 2013.
(5) « Pour que la justice compte. Enseignements tirés du travail de la CPI en Côte d’Ivoire », Human Rights Watch, 4 août 2015.
(6) Cf. Laurent Ggagbo et François Mattei, Pour la vérité et la justice. Côte d’Ivoire : révélations sur un scandale français, Editions du Moment, Paris, 2014.
(7) Cf. Bernard Houdin, Les Ouattara. Une imposture ivoirienne, Editions du Moment, Paris, 2015.
(8) Jens Ohilin, « Peace, security and prosecutorial discretion », The Emerging Practice of the International Criminal Court, Martinus Nijhoff Publishers, Boston, 2009.
(9) « Consolider cette paix qui nous appartient. Un agenda relatif aux droits humains pour la Côte d’Ivoire », Human Rights Watch, 8 décembre 2015.
(10) Cf. Jean-Baptiste Vilmer, Pas de paix sans justice ? Le dilemme de la paix et de la justice en sortie de conflit armé, Presses de Sciences Po, Paris, 2011.