La Métamorphose des Cloportes (Pierre Granier Deferre)

Par Sylvain PERRET • 30 jan 2009 • Categorie: Films 1KultContacter l'auteur

On ne compte plus les films de ces années là détruits par l’équipe des Cahiers du Cinéma. Truffaut et ses compères s’évertuaient à coup de plume à redéfinir le cinoche en deux catégorie : le cinéma de papa et l’autre, plus expérimental et en adéquation avec son époque. La mauvaise foi était de temps en temps de rigueur, mais admettons-le nécessaire : tuer le père afin de partir dans de nouvelles directions. Aujourd’hui encore l’étendue des dégats est impressionnant. Michel Audiard, qui vampirisait à lui seul le générique était une des cibles préférées des Cahiers, alors que ses dialogues étaient synonymes de succès et qu’aujourd’hui ils confèrent le plus souvent (du moins pour cette époque) une patine et un gage de qualité.

La Métamorphose des Cloportes est un des meilleurs exemples du talent du petit cycliste, mais aussi l’indiscutable réussite du film au-delà des bons mots. En effet, lorsqu’au-delà des bons mots un réalisateur comme Granier Deferre prenait les commandes, on accouchait d’un film honteusement inédit mais surtout témoin de la liberté que recherchait la Nouvelle Vague et ses expérimentations… que celle-ci a descendu lors de sa sortie !

Ce film de studio est en apparence plus que classique dans son scénario. Un casse tourne mal, et le héros se retrouve en prison pour 4 ans. Durant ces quatre années, il rumine, mais à sa sortie les choses ont bien changées…

On a pu voir et revoir  cette classique histoire de vengeance à maintes reprises. Or là est la force du film : non seulement les promesses sont tenues et respectées, mais en plus elles deviennent un formidable témoin du changement artistique des années soixante. Chose qui est passé honteusement à la trappe lors de sa sortie.

Musique jazzy, montage et découpage osés, passages filmés à l’épaule, le film devient alors passionnant et d’une modernité étonnante. Il faudra presque attendre les films de Michel Audiard réalisateur (dans un autre genre) pour ressentir une liberté dans le même esprit. Mais là où les canards sauvages et les cris du cormoran étaient baroques et quasi anarchistes, Granier Deferre remplit son cahier des charges en livrant à la fois un pur film d’exploitation efficace, une comédie policière aux répliques savoureuses, mais aussi un film personnel, sur une époque qui chante. Le réalisateur est quelque part identifiable dans le personnage interprété par Lino Ventura. Mis au placard, il devient à sa sortie complètement perdu et a rangé sa crédibilité. Plus simplement, il est passé de mode et on le prend pour un cave. Il parcourt alors son ancienne vie qui s’est bien métamorphosé : un escroc resquilleur est devenu un important marchand d’art, ou encore un de ses complices est passé des casses et des arnaque à la religion exotique (qui prouve au passage que Charles Aznavour fut un temps un véritable acteur de talent). Le langage aussi a radicalement changé.

Comme le rappelle l’héroïne qui va accompagner Ventura dans sa nouvelle vie, on ne doit plus dire un dessin, mais un graphisme, un modelé ou une mise en condition de l’objet. C’est encore une fois un pied de nez à toute une presse élitiste qui emploie des beaux mots à défaut d’employer les bons…

Quelque part, les cloportes, ce seront eux.

Et une pointe cynique et pessimiste conclut le film, car l’adaptation du personnage principal ne sera évidemment plus possible. Et que ce soit à cause d’une femme n’est pas machiste comme on a pu le lire à l’époque mais plutôt encore une fois un témoin des années soixante à la veille de la libération de la femme et de l’égalité des sexes…

Les amateurs de répliques cultes et percutantes seront aux anges, car le film possède la touche inimitable de Audiard, qui lui aussi peut se voir dans le personnage du personnage principal. En effet, le dialoguiste avait déclaré lors d’une interview que sa plus grande peur était les modes.

On l’a vu, le film dépasse ses promesses tout en les remplissant. Il est une fois de plus dommage de ne pas avoir un tel film sur un support digital. Le film le mérite tant pour le fond et la forme, pour le son et pour l’image, pour les fans d’expérimentations et de classicisme, de films plaisants et réfléchis.

Bref, pour tout amateur de films 1kult…

En bonus, voilà une interview plus qu’intéressante d’Annie Girardot qui parle de ses rencontres avec Michel Audiard. la vidéo est tirée du coffret Gaumont consacré aux réalisations du dialoguiste :

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Enfin 3 commentaires. Et vous ? »

  1. Je le considére plus comme appartenant au cinéma de Papa..
    Cinéma de Papa qui pouvait lui aussi être un peu fou, excentrique et plein d’idée..
    Ou alors il faudrait aussi considerer Le Pacha de Lautner comme un Tonton possible ?
    Petite équipe, epaule, debrouillardise et systéme D..
    J’ai l’impression que les films Tontons ..se pourraient être aussi des films qui reussissaient à penser par eux mêmes et à échapper aux chapelles, avec des realisateurs à la patte assez marquée…ce pourrait être le cas de Zazie de Malle, ou de Bob le Flambeur …
    Devriez voir Objectif 500 millions de Schoendorffer..l’histoire d’un casse par un ancien para désabusé Brunio Cremer de retour de sa Cochinchine ..et en plus il y a Marisa Mell ce qui ne gate rien..le film est assez curieux…bizarre…pas le chef d’oeuvre des chefs d’oeuvre mais curioux.

  2. [...] de cette annonce pour évoquer une autre arlésienne, à savoir La Métamorphose des Cloportes de Pierre Granier-Deferre. En effet, nous avons à plusieurs reprises évoqué ce film, qui avait même eu droit à sa petite [...]

  3. Le seul à avoir jouer à la fois avec Gabin et Isaac Hayes !
    Et l’ami des Krishnas, qui prend plaisir à leur botter le cul dans plusieurs de ses films (La Métamorphose, Adieu poulet…)
    Pourquoi Lino, pourquoi ?

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