3.1 L�arriv�e des Europ�ens
En vertu du trait� de Tordesillas
(1494) qui tra�ait les limites territoriales entre l'Espagne et le Portugal,
le page Alexandre VI Borgia (1431-1503) avait contraint les Espagnols et les
Portugais � s'entendre sur le partage du monde: tout ce qui serait d�couvert �
l'ouest du m�ridien appartiendrait � l�Espagne et � l'est (Br�sil et Afrique),
au Portugal. En r�alit�, l��glise catholique avait attribu� aux deux puissances
p�ninsulaires, non pas des zones de colonisation,
mais des zones d'�vang�lisation,
mais cette distinction ne r�sista pas longtemps aux app�tits imp�rialistes.
En vertu du trait� de Tordesillas, l'Afrique devait appartenir aux seuls Portugais,
puisque les Espagnols y �taient �cart�s. Les autres pays de l'Europe, comme
la France, la Grande-Bretagne et la Hollande, furent incapables de s'opposer
au trait� de Tordesillas jusqu'� la fin du XVIe si�cle.
Les Portugais furent les premiers Europ�ens,
au XVe si�cle, � longer les c�tes de la Guin�e et � entrer en contact
avec les populations qui s'y trouvaient. Ils install�rent des comptoirs et pratiqu�rent
le commerce des �pices, de l�huile de palme, l'or, de l'ivoire et... la traite
des esclaves. La toponymie conserve encore leur marque (Rio Nu�ez, Rio
Pongo, Cap Verga, etc.) et plusieurs familles ont h�rit� de leurs
noms (Fernandez, Gomez, etc.). Mais les Portugais entr�rent tr�s
t�t en comp�tition avec les Britanniques
et les Fran�ais. Ils se trouv�rent rapidement
circonscrits dans ce qui est devenu aujourd�hui la Guin�e-Bissau. Les Britanniques
finirent par se contenter sans trop de difficult�s de la Sierra Leone. Puis,
en une quarantaine d�ann�es, l�imp�rialisme fran�ais supplanta ses rivaux dans
la r�gion en �tendant sa zone � partir de la c�te maritime en direction du Fouta-Djallon
et de la Haute-Guin�e. Les autochtones ne connurent d�abord l��criture que
par l'alphabet arabe: une transcription de la langue peule en caract�res arabes
apparut d'ailleurs au cours du XVIIIe si�cle, mais cette arriv�e
dans le monde de l'�criture fut ralentie s�rieusement par l'invasion des forces
coloniales.
Le Fran�ais Gaspard-Th�odore Mollien
d�couvrit la Moyenne-Guin�e (Fouta-Djalon) et la ville de Timbo en 1818; pour
leur part, l'Anglais Gordon Laing (1826) et le Fran�ais Ren� Cailli� (1828)
atteignirent Tombouctou au Mali. En 1840, l'amiral fran�ais Bouet-Willaumez
(1808-1871), futur gouverneur du S�n�gal, signa les premiers trait�s avec des
chefs locaux de la Guin�e. En 1880, le Fran�ais Olivier de Sanderval jeta les
bases de la colonisation europ�enne dans la r�gion. Dans les ann�es 1880, l'almamy
(souverain) d�origine malink�e, Samory Tour�, �quip� d'armes modernes,
prit le contr�le de l'int�rieur du pays. En 1884-1885, suite � un accord
entre les puissances coloniales de l��poque (France, Grande-Bretagne,
Allemagne et Portugal), la conf�rence de Berlin reconnut les �droits� de la
France sur la r�gion.
3.2 La colonisation fran�aise
Le territoire de la Guin�e devint une colonie fran�aise en 1893 et fut
int�gr� � l'Afrique occidentale
fran�aise (AOF) en
1893. Mais l'almamy Samory Tour� mena une guerre organis�e contre
l'occupation fran�aise sur la c�te et dans les massifs montagneux du Sud-Est,
jusqu'� ce qu'il fut vaincu en 1898. Fait prisonnier en 1898, il fut d�port�
au Gabon o� il mourut en 1900. Il fut l'un des derniers h�ros de l'histoire
pr�coloniale du pays. Les r�sistances � l�occupation fran�aise
continu�rent et ne cess�rent qu�en 1912, lors de la �pacification� de
cette zone �rig�e en r�gion militaire depuis 1899. Finalement, l'�miettement
en multiples chefferies rivales facilita l'emprise fran�aise sur le pays. Mais
les exc�s militaires fran�ais provoqu�rent en 1911 une r�volte des Guerz�
et des Manons, qui fut r�prim�e avec une tr�s grande brutalit�.
La France imposa un syst�me d'administration coloniale identique � celui
appliqu� dans les autres territoires africains de son empire colonial. Le
fran�ais devint la langue de l�Administration. La plupart des documents
officiels ne furent pratiquement jamais connus de la part des int�ress�s, sauf
lorsqu�ils furent occasionnellement traduits dans un �dialecte local�. Pr�s
de 95 % des Guin�es ne fr�quentaient pas l��cole et ignoraient par
cons�quent le fran�ais. Cependant, le fran�ais �tait tr�s r�pandu aupr�s
de l��lite guin�enne qui n�h�sitait pas au besoin � �courter les
�tudes coraniques de leurs enfants pour leur faire suivre leurs cours � l��cole
fran�aise.
La mise en valeur du pays demeura le fait des Fran�ais, car les autochtones
ne fournirent que la main-d�oeuvre � bon march�, notamment dans l�exploitation
de la bauxite. Les soci�t�s fran�aises monopolis�rent les cultures
d'exportation et les multipli�rent. �videmment, l'exploitation des ressources
naturelles s'orienta vers les besoins de la M�tropole, ce qui suscita tr�s
t�t un syndicalisme tr�s politis�, surtout dans les centres industriels et
portuaires, qui se transforma en mouvements contestataires. Pendant les deux
guerres mondiales, la M�tropole fit largement appel aux soldats guin�ens: 36
000 furent mobilis�s en 1914-1918 et pr�s de 18 000 en 1939-1945.
La Guin�e fran�aise devint par la Constitution fran�aise du 7 octobre 1946
un �territoire d'outre-mer�. � la fin de l�empire colonial fran�ais, le
taux de scolarisation des �indig�nes� restait inf�rieur � 12 %. Cette
situation cachait aussi d'importantes disparit�s entre les sexes (par exemple,
moins de 10 000 filles sur 45 000 enfants scolaris�s), les milieux urbains et
ruraux (dits �de brousse�), les diff�rents groupes sociaux (fonctionnaires,
artisans, ouvriers et manoeuvres, paysans) et religieux (par exemple, �coles
coraniques et les �coles priv�es catholiques), sans parler des r�gions
g�ographiques. L'enseignement sup�rieur demeurait inexistant. Puis,
in�vitablement, une conscience politique anticoloniale se d�veloppa pour
s'affirmer avec force apr�s la Seconde Guerre mondiale.
3.3 Vers l�ind�pendance
En 1952, Ahmed S�kou Tour�, arri�re-petit-fils de Samory Tour�, mena des
activit�s politiques afin d�obtenir davantage de repr�sentants africains
dans le gouvernement local. Il fonda le Parti d�mocratique de Guin�e
dont il fit une organisation populaire fortement structur�e. Lors du
r�f�rendum du 28 septembre 1958, la Guin�e fut le seul pays de toute
l'Afrique francophone � rejeter la proposition du g�n�ral de Gaulle
concernant l'int�gration des colonies de l'Afrique occidentale fran�aise au
sein d�une �ventuelle Communaut� fran�aise. S�kou Tour�, qui �tait
convaincu que la France ne pourrait durablement ostraciser une Guin�e si riche
en produits miniers, demandait � sa population de voter NON au projet
d'int�gration � la Communaut� fran�aise. Dans son discours au g�n�ral
de Gaulle � Conakry, le 25 ao�t 1958, S�kou Tour�, alors vice-pr�sident du
Conseil de gouvernement, d�clarait:
Le projet de Constitution ne doit pas s'enfermer dans la logique du
r�gime colonial qui a fait juridiquement de nous des citoyens fran�ais, et
de nos Territoires, une partie int�grante de la R�publique fran�aise Une
et Indivisible. Nous sommes africains et nos Territoires ne sauraient �tre
une partie de la France. Nous serons citoyens de nos �tats africains,
membres de la Communaut� franco-africaine.
|
M�contente de la d�cision guin�enne apr�s son vote n�gatif lors du
r�f�rendum du 28 septembre (1958) sur la Communaut�, la France suspendit
imm�diatement son aide (contrairement � ce que croyait S�kou Tour�). En un mois, l'administration guin�enne se vit priv�e
de tous les techniciens et fonctionnaires fran�ais, y compris les m�decins,
les infirmi�res, les enseignants, les responsables de la s�curit� a�rienne,
etc. Pendant que les pr�sidents Habib Bourguiba de Tunisie, Hamani Diori du
Niger et L�opold S�dar Senghor du S�n�gal se comptaient parmi les
d�fenseurs les plus acharn�s de la Francophonie, Sekou Tour�, lui, continuait
d�exiger pour son pays l�ind�pendance imm�diate et totale, et proclamait
haut et fort que la Francophonie constituait une �nouvelle forme de domination
coloniale�. Paris tentera d�emp�cher l�admission du nouvel �tat aux
Nations unies.
3.4 Le r�gime autoritaire de S�kou Tour�
La Guin�e acc�da � l'ind�pendance le 2 octobre 1958. Depuis son ind�pendance
et jusqu�en 2010, la Guin�e ne conna�tra que des r�gimes militaires ou
autocratiques.
 |
Ahmed S�kou Tour� devint le premier pr�sident de la
r�publique de Guin�e et le grand �responsable supr�me� du pays.
Le d�but de la pr�sidence de Tour� fut marqu� par une politique
marxiste, avec la nationalisation des entreprises �trang�res
(fran�aises) et une �conomie fortement planifi�e. Il mit aussit�t en
�uvre une politique de
�panafricanisme� impliquant la �d�colonisation int�grale de toutes
les structures du pays�, afin d�instaurer une �soci�t� socialiste�.
S�kou Tour� remporta le prix L�nine pour la paix en 1961.
Toutefois, l'attitude intransigeante de S�kou Tour� envers la France
ne fut pas toujours bien appr�ci�e; c'est pourquoi certains pays
africains rompirent les relations diplomatiques avec la Guin�e.
Malgr� tout, le pr�sident Tour� gagna l'appui de nombreux groupes et
dirigeants anticolonialistes et panafricains. N�anmoins, sa
politique visant � s'approprier la richesse et les terres agricoles
des propri�taires traditionnels irrita de nombreux acteurs
puissants, alors que son gouvernement se r�v�lait incapable de
redresser l'�conomie et les droits d�mocratiques en Guin�e. |
- La r�volution culturelle
Avec S�kou Tour�, la Guin�e porta dor�navant le nom de R�publique populaire
r�volutionnaire de Guin�e. L�une des toutes premi�res �d�cisions
l�gislatives� adopt�e au lendemain de l'ind�pendance peut nous donner une
id�e du caract�re autoritaire du nouveau r�gime en place. Voici le texte de l�ordonnance
du 2 octobre 1958 destin�e simplement � contrer le vol dans le pays:
Article 1er - Tout individu coupable de vol sera condamn�
� des peines de trois � dix ans de prison.
Article 2 - Les peines inflig�es pour vol seront effectu�es dans un
p�nitencier et les condamn�s seront astreints � des travaux de force.
Article 3 - La peine pourra �tre �lev�e � quinze ans en cas de
r�cidive.
Article 4 - Les vols commis soit la nuit, soit par effraction, soit
par escalade, soit en bande, soit avec arme, soit avec menaces, soit avec
violences, seront punis de la peine de mort.
Article 5 - Le propri�taire qui, en d�fendant son bien, aura
occasionn� la mort d'un ou de plusieurs voleurs, b�n�ficiera de l'excuse
absolutoire.
Article 6 - Quiconque aura occasionn� par sa faute la mort d'autrui
sera condamn� � la peine de mort, � moins qu'il ne lui soit reconnu des
circonstances att�nuantes.
Article 7 - Quiconque par son imprudence aura occasionn� la mort
d'autrui sera condamn� � la peine de mort, s'il est av�r� que cette
imprudence a �t� la cause principale ayant entra�n� le d�c�s.
Article 8 - La pr�sente ordonnance sera appliqu�e provisoirement
pendant la p�riode qui sera jug�e d�terminante pour entra�ner les
am�liorations envisag�es par le gouvernement.
Article 9 - La pr�sente ordonnance sera publi�e et communiqu�e
partout o� besoin sera.
|
Avec la r�volution culturelle, les fonctionnaires du gouvernement devaient
r�pondre au t�l�phone en disant d�abord: �All�! Pr�ts pour la
r�volution!� Au cours de l'ann�e 1960, S�kou Tour� ordonna une destruction
massive de livres, journaux, documents administratifs, juridiques, archives,
etc., dans tous les services publics. Les archives furent pill�es et vid�es,
et tous les autres documents furent br�l�s sous le contr�le d'un agent de la
s�curit�. Par la suite, l'importation de livres et de journaux �trangers fut
interdite pour les particuliers. L�une des �missions les plus �cout�es � l��poque
par les Guin�ens, la Revue de presse, fut supprim�e pour �tre
remplac�e par la Causerie du pr�sident o� il �tait le seul � parler.
Dans les campagnes, les radios rurales durent adopter une �approche
personnelle� en langues nationales pour communiquer avec la population. Comme
on pouvait bien s�y attendre, la r�volution passait aussi par la langue... et
par l��cole.
- La r�forme scolaire
En 1958 d�j�, le gouvernement avait pris la d�cision d'�adapter les
structures de l'�ducation aux nouvelles r�alit�s nationales� dans le but
d'instaurer un �enseignement d�mocratique et populaire�. La r�forme
ambitionnait de �scolariser tous les enfants du pays � partir de l'ann�e
scolaire 1964-1965�. Toutefois, c�est � partir de 1968 que S�kou Tour�
appliqua sa politique linguistique d�africanisation et entreprit de r�former
l��ducation dans les �coles primaires.
La Commission nationale d'alphab�tisation fut cr��e. Apr�s avoir codifi�
le premier alphabet guin�en (sans trop de rigueur scientifique), la commission
choisit huit langues nationales (malink�, soussou, peul ou poular, kissi,
basari, loma, koniagi et kpell�) sur une vingtaine et �labora des alphabets
dans plusieurs autres langues nationales. Ces alphabets furent adopt�s par le
Conseil national de la r�volution r�uni � Nz�r�kor� en juin 1965. Des manuels
furent imprim�s et une campagne nationale d'alphab�tisation fut lanc�e. Ces
m�mes langues �taient mati�res d'enseignement dans tout le cursus scolaire et
universitaire, du secondaire au sup�rieur o� les notes obtenues comptaient comme
n'importe quelle autre mati�re aux compositions et examens de fin d'ann�e.
Les objectifs p�dagogiques port�rent sur deux
points importants: la r�forme de l�enseignement destin� � assurer les liens
entre �l��cole�, �la vie� et �la production�, et � alphab�tiser les
adultes dans les langues nationales. En tout, il y eut une bonne vingtaine de
r�formes en �ducation. La Direction nationale d'alphab�tisation produisit une
documentation importante afin de subvenir aux besoins des diff�rentes mati�res
enseign�es dans les �coles. Par ailleurs, de nombreuses publications en
langues nationales furent r�dig�es par les enseignants guin�ens.
Dans les premi�res ann�es de la r�forme (mais apr�s 1967), les apprentissages de base
tels la lecture, l'�criture et le calcul se faisaient dans l'une des langues nationales au cours de la
premi�re ann�e, alors que le fran�ais n'�tait abord� qu'� l'oral. Puis, au
cours des trois ann�es suivantes, les �l�ves passaient
progressivement du fran�ais comme mati�re enseign�e au fran�ais en tant que
langue d'enseignement. Les langues nationales suivaient le processus inverse: de
langue d'enseignement, elles devenaient des mati�res d�enseignement. � l��poque,
cette r�forme scolaire fit passer S�kou Tour� pour un pr�curseur dans toute
l�Afrique.
Par la suite, la �r�volution culturelle socialiste� modifia la politique
adopt�e dans les programmes d'enseignement. Le fran�ais cessa net d'�tre la
langue d'enseignement au primaire. Dans chaque r�gion, la langue �dominante�
dut �tre enseign�e dans les �coles (primaires). Par exemple, les �l�ves
�tudi�rent en soussou en Guin�e maritime, en peul au
Fouta-Djalon, en malink� en
Haute-Guin�e, en kissi, en toma, en
kpell� en
Guin�e foresti�re,
etc. Ainsi, les langues nationales choisies devinrent des langues d'enseignement
� la place du fran�ais, et ce, de la 1re � la 8e
ann�e, ainsi qu�une discipline de la 9e ann�e � l'universit�.
Les m�moires de fin d'�tudes sup�rieures en langues nationales ou traitant
des langues nationales enrichirent la documentation de l'Acad�mie des langues
de la Guin�e. Au nom de la R�volution, les programmes scolaires comportaient
obligatoirement l'�tude des discours de S�kou Tour�.
Les r�sultats de cette �r�volution culturelle� se r�v�l�rent
d�cevants. D�une part, les langues nationales �taient handicap�es du fait
qu�elles n�avaient jamais servi dans les communications �crites, notamment
dans les sciences et les techniques; il fallait toujours recourir au fran�ais. La
formation des ma�tres entra�na d'�normes probl�mes, car les anciens instituteurs
durent apprendre � lire et �crire dans une langue nationale pour se rendre
compte que les manuels scolaires ne suivaient pas. En effet, l'unique imprimerie
de Conakry ne put jamais suffire � la t�che et la plupart des manuels pr�par�s
par les chercheurs en p�dagogie rest�rent � l'�tat de manuscrits, dans les
tiroirs. Finalement, le nombre des langues d'enseignement passa de huit � six.
De plus, les successions ininterrompues des enseignants �gyptiens, sovi�tiques,
vietnamiens, yougoslaves, am�ricains, etc., qui arrivaient et repartaient au gr�
des alliances politiques, n'aidait s�rement pas � l'am�lioration de
l'enseignement, surtout qu'Ils ignoraient non seulement les langues nationales,
mais aussi le fran�ais.
Par ailleurs, afin de faire face � la
scolarisation d'une nombreuse jeunesse, le gouvernement de S�kou Tour� imposa
�l'enseignement de masse�. Or, cet enseignement fut mal re�u par la
population. En effet, une classe pouvait comporter jusqu�� 200 �l�ves ou
plus (ce qui n'�tait pas forc�ment diff�rent de ce qui existait avant
l'ind�pendance ), les �travaux champ�tres� et l'id�ologie socialiste absorbaient les
trois quarts du temps, les �l�ves �taient not�s collectivement (non
individuellement), les salles
de classe ne disposaient g�n�ralement d'aucun �quipement, chaque �l�ve
devant m�me apporter son si�ge. En fait, nombre d'enfants abandonn�rent
simplement l'�cole, car beaucoup de parents, surtout dans les campagnes,
pr�f�r�rent faire travailler leurs enfants aux champs. La propagande du
gouvernement de S�kou Tour� annon�ait r�guli�rement un taux officiel de
scolarisation de 40 %, alors qu�en r�alit� il oscillait plut�t autour de 20
%. � la fin du r�gime, en 1984, le taux de scolarisation restait encore
inf�rieur � 20 %. Soulignons que, durant cette p�riode, tous les enfants des �lites guin�ennes
fr�quentaient syst�matiquement l��cole priv�e et apprenaient, pour leur part, le
fran�ais. Quoi qu'il en soit, � la fin du r�gime d'Ahmed S�kou Tour�, le
fran�ais �tait redevenu l'unique langue d'enseignement dans les �coles.
L'exp�rience des langues nationales tourna court en 1984, d�s la mort de
l'ancien pr�sident.
On peut attribuer l'�chec de la politique linguistique de S�kou Tour� �
plusieurs causes: une r�forme b�cl�e et improvis�e, la raret� des manuels
scolaires et l'insuffisance de la formation des ma�tres.
- Un bilan d�cevant
Le r�gime autoritaire de S�kou Tour� s�est rapidement transform� en
dictature et aurait provoqu�, au cours des ans, l�exil du quart de la population
guin�enne (500 000 personnes sur deux millions). Ayant accul� son pays � la faillite
et, devant le m�contentement grandissant de la population, le dictateur
entreprit d�assouplir son r�gime. Il fit alors de nombreux voyages
diplomatiques dans le but d'�tablir des relations avec d'autres pays et de
trouver des investisseurs; il chercha de l'aide aupr�s du bloc communiste
(Europe de l'Est, Union sovi�tique et Chine) afin d�obtenir le financement
que la France lui refusait. Cible de plusieurs tentatives d'assassinat, il
accusa r�guli�rement la France de comploter pour renverser son r�gime et
avait rompu toute relation avec celle-ci d�s novembre 1965. Entre 1958 et 1971, neuf
des 71 membres du gouvernement furent ex�cut�s, huit moururent en d�tention,
18 furent condamn�s aux travaux forc�s � perp�tuit�, 20 furent remis en libert�
provisoire, cinq se r�fugi�rent � l'�tranger. Les rapport du �responsable supr�me�
avec les pays
voisins, soit la C�te d�Ivoire, le Niger, le S�n�gal et le Burkina Faso,
rest�rent troubles jusqu�en 1978.
Curieusement, la Constitution
�r�volutionnaire� de 1982 (ni celle de 1958) ne contenait aucune disposition
d'ordre linguistique. De fa�on paradoxale, les tentatives de S�kou Tour� de faire
de la Guin�e un pays officiellement plurilingue semblent avoir �t� un �norme
�chec. Il est probable que ce ne soit pas ce que la population d�sirait. C'est
dans ce cadre g�n�ral d'�chec qu'intervint, le 26 mars 1984, la mort subite de S�kou Tour�,
� Cleveland (Ohio), aux �tats-Unis, lors d'une op�ration de chirurgie cardiaque.
3.5 Le r�gime de Lansana Cont�
Apr�s la mort de S�kou Tour�1984, le pays se trouvait ruin�, des dizaines de
milliers
de Guin�ens avaient fui le pays pour se r�fugier en C�te d'Ivoire, au S�n�gal
ou en France, alors que les prisons �taient pleines et quelque 700 000 morts �taient
attribu�s � l'ancien dictateur. Aussit�t, un Comit� r�volutionnaire de redressement national (CRRN), comprenant des
militaires, porta au pouvoir le colonel Lansana Cont�, d'origine soussou. Puis la Guin�e s�engagea
dans une s�rie de r�formes et, en rupture avec l'ancien r�gime, elle se
rapprocha de la France et de ses voisins. Les nouveaux dirigeants d�cid�rent de
s'en tenir � un enseignement enti�rement en fran�ais. On chargea l'Acad�mie des
langues de travailler sur l'hypoth�se d'une �langue nationale
d'unification� du pays, qui devait �tre adopt�e apr�s un �d�lai de r�flexion� de
six ans, c'est-�-dire en 1990.
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Par la suite, la population guin�enne
s'est retrouv�e aux prises avec l'un de ces plans de restructuration dont seuls
le Fonds mon�taire international et la Banque mondiale ont le secret. La
Guin�e connut notamment le licenciement d'un bon tiers des fonctionnaires
inutiles que comptait le pays, la privatisation des banques et de la centaine de
soci�t�s d'�tat fantoches, avec en prime l'augmentation fulgurante du prix
des denr�es de premi�re n�cessit�. En 1993, le colonel Lansana Cont�
remporta la premi�re �lection pr�sidentielle pluraliste. Les libert�s
fondamentales furent progressivement restaur�es, l'inflation en partie
ma�tris�e, la vie d�mocratique revint lentement. Cependant, la stabilit� politique
demeura pr�caire, comme l'ont d�montr�
les affrontements entre les Malink�s, les Soussous et les Peuls lors d�une
nouvelle tentative de coup d'�tat militaire, en f�vrier 1996. De plus,
Amnistie internationale a commenc� � d�noncer le r�gime guin�en,
notamment pour ses violations du droit d'expression et du droit d'association,
et les tortures en tout genre des personnes incarc�r�es, souvent sans proc�s.
Selon le Rapport mondial sur le d�veloppement humain publi� en 1992 par
le PNUD (Programme des Nations unies pour le d�veloppement), la Guin�e �tait
class�e au dernier rang des 170 pays du monde, derri�re Ha�ti et la Somalie.
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En f�vrier 1996, une mutinerie militaire �clata pour
non-paiement des soldes. R�fugi� dans les sous-sols du Palais des nations,
le pr�sident �chappa de peu � la mort, alors que l'on bombardait son bureau.
Cont� allait �tre encore victime d'une tentative d'assassinat en janvier
2005. Au d�but de 2006, l'�tat de sant� du pr�sident s'aggrava brusquement;
il dut se rendre � plusieurs reprises � l'�tranger pour se faire
hospitaliser. D�s lors, il ne quitta plus le pays pour participer � des
r�unions internationales. Sous ce second r�gime autoritaire (apr�s S�kou
Tour�), l'�tat
guin�en devint encore plus dysfonctionnel, rong� par une corruption end�mique. Exasp�r�s
par la flamb�e des prix et la corruption, les Guin�ens descendirent
dans la rue en janvier 2007. Le gouvernement paniqua et l'arm�e
tira sur la foule. Bilan: plus de 200 morts et des milliers de
bless�s. Pour calmer le jeu, le pr�sident Cont� cr�a une commission
d'enqu�te afin d'identifier et de poursuivre les responsables de la
r�pression. Par la suite, il ne se passa plus rien, mais les gr�ves se
multipli�rent, impliquant l'arm�e, puis les douaniers, les policiers,
les m�decins, les magistrats, etc. Malade et diminu�, Lansana Cont�
ne v�cut plus dans la capitale, car ils se r�fugia dans un petit village o�
il cultivait des champs de riz,. Au cours de cette p�riode, ses proches
conseillers assur�rent le pouvoir jusqu'� sa mort survenue le 22
d�cembre 2008. Il avait pass� vingt-quatre ans � la t�te de la
Guin�e.
3.6 La junte militaire de Danis
Camara
D�s le lendemain, le capitaine Moussa Dadis Camara et le
Conseil national pour la d�mocratie et le d�veloppement (CNDD) prenaient le
pouvoir. Le chef de la junte, qui s'est autoproclam� �pr�sident de la
r�publique de Guin�e�, s�engageait alors � lancer une transition devant
inclure la tenue d��lections l�gislatives et pr�sidentielle en 2009
auxquelles la junte ne participerait pas. La junte militaire a n�anmoins
r�serv� � l'ancien pr�sident Cont� des fun�railles nationales et a pri� Dieu
qu'il lui donne �le courage de continuer son
�uvre de tol�rance et de paix pour le
bonheur de la Guin�e�.
Le 28 septembre 2009, l�arm�e r�primait dans le sang une manifestation
pacifique organis�e par les Forces vives dans le stade de Conakry, faisant
plus de 150 tu�s et plus de 1200 bless�s. Ce massacre fut unanimement
condamn� par la communaut� internationale. La France a imm�diatement
suspendu sa coop�ration militaire et d�ploy� une assistance m�dicale aux
victimes.
Apr�s une tentative d�assassinat par son aide de camp en
d�cembre 2009, Dadis Camara fut �vacu� et hospitalis� � Rabat (Maroc). Le 15
janvier 2010, � Ouagadougou, le capitaine Dadis Camara, le g�n�ral S�kouba
Konat� et le pr�sident Blaise Compaor� (Burkina Faso) signaient la
D�claration conjointe de Ouagadougou, d�finissant les modalit�s de la
transition guin�enne. La nomination d�un nouveau premier ministre (janvier
2010) et la d�signation d�un gouvernement d�union nationale (f�vrier 2010)
engag�rent la Guin�e sur la voie de la transition. Le Conseil national
de transition (CNT), un organe l�gislatif � la place du Parlement, fut mis
en place en janvier 2010. Sa mission qui ne devait exc�der six mois, allait
finalement s'�tendre sur quatre ans. Puis Camara annon�a qu'il renon�ait au
pouvoir, officiellement pour des raisons de sant�. En r�alit�, la France,
les �tats-Unis et le Maroc avaient profit� de l'hospitalisation de Camara �
Rabat pour lui trouver un successeur et le forcer � l'exil. Depuis le
massacre de 2009, Fran�ais et Am�ricains se m�fiaient du pr�sident guin�en
et croyaient que ses ambitions militaires pouvaient constituer une menace
pour la stabilit� de la r�gion.
3.7 L'�lection du pr�sident Alpha Cond�
Le 3 d�cembre 2010, la Cour constitutionnelle proclama la
victoire d�Alpha Cond�, avec 52,5 % des suffrages, � la pr�sidence. Le 21
d�cembre 2010, Alpha Cond� fut investi pr�sident de la R�publique en
pr�sence de 13 chefs d'�tat africains et de d�l�gations gouvernementales
d'autres continents. Cond� a promis �une �re nouvelle� et annonc� son
intention de devenir �le Mandela de la Guin�e� en unifiant et d�veloppant
son pays. Le 19 juillet 2011, des militaires attaqu�rent sa r�sidence
priv�e de Conakry, dont une partie fut souffl�e par une roquette, mais Alpha
Cond� s'en est sorti indemne. En janvier 2014, le Conseil national de
transition c�dait la place � la nouvelle Assembl�e nationale pour si�ger �
l�H�micycle.
Malgr� ses richesses naturelles, la Guin�e n'est jamais parvenue � faire d�coller
son �conomie. Pourtant, selon les Guin�ens eux-m�mes, la Guin�e-Conakry est
un pays �b�ni d'Allah�; on l�a surnomm�e �le ch�teau d'eau de l'Afrique
de l'Ouest� et raison de son r�seau hydrographique, et ses ressources
mini�res sont �normes: les deux tiers des r�serves de bauxite du monde, des
m�taux rares (cobalt, uranium), de l'or, des diamants, etc. Malgr� ses richesses
naturelles consid�rables, la Guin�e est class�e parmi les pays les plus pauvres
du monde. Selon une �tude de l'Institut national de la statistique de
Guin�e et de la Banque mondiale publi�e en juillet 2012, plus de la moiti� des
Guin�ens (55 %) vit en dessous du seuil de pauvret�, soit avec moins d'un dollar
par jour, un chiffre en hausse ces dix derni�res ann�es.
La m�me ann�e, la Guin�e �tait class�e au 178e
rang sur 187 pays,
selon l�Indice de d�veloppement humain (IDH), ce qui en fait l'un
des pays les plus pauvres de la plan�te. Tous les Guin�ens sont bien conscients
que la pauvret� qu�ils vivent ne disparaitra pas par le fait d�un coup de
baguette magique. Ils savent aussi que la disparition de leur mis�re n'est
possible que dans des institutions politiques efficaces, solides, et justes.